mardi 29 janvier 2008

Le pont entre deux rives.

Voila plusieurs semaines que je n ai pas mis a jour ce blogue. Eh bien tant pis, ces quelques semaines sont malgre tout assurees de trouver une place bien au chaud dans ma memoire. Il est tres facile de se trouver des excuses, genre, pas d accent ou d apostrophe sur le clavier (je sais, c est tres dicret tout de meme). En periode d apprentissage, j en suis venue a la conclusion qu il est mieux de revenir a l ecriture malgre l imperfection et l inconstance, car imperfection et inconstance ne sont-elles tout de meme pas mieux qu absence? Peut etre que l imperfection des toilettes turques et l inconstance de papier-cul dans ce pays ont finalement repondu a ma question.

Me voici a Rishikesh, ville sacree d Inde, nichee dans l Himalaya. La ville est separee en deux par le Gange, tres pur a cette hauteur; sur les rives, le sable est blanc comme de la neige. Des escaliers de pierre guident le pieton de temples en Ashrams (si nombreux ici que c en est completement surrealiste - autour de 350, on m a dit, dans une ville pas plus grosse que Jonquiere), de patisseries allemandes en magasins de pierres precieuses. C est pratiquement tout ce qu il y a ici. C est LA ville de hippie. L enscens embaume toute la ville, et des chants religieux se font entendre depuis la moindre petite ruelle. Un peu partout, des gens vendent du pop corn ou des arachides, et des sadus en robe oranger vous disent en joignant les deux mains, assis sur le sol a cote des vaches. Une personne sur deux a le front marque d un point rouge ou oranger, signe de la benediction d un guru ou d une visite dans l un des nombreux temples consacres a Shiva. La nuit, quelques lumieres scintillent dans les montagnes. L alcool n est pas permis ici, mais Hari (guide exceptionnel specialise dans le trekking) trouve toujours le moyen de se procurer du rhum ou de la biere en envoyant un message-texte a son cousin eloigne (treeees cute, d ailleurs).

Par l intermediaire de Hari, justement, j ai rencontre Valerie, sa femme, guide elle aussi, qui a eu le courage de quitter le Quebec pour vivre dans une famille Indienne et d y elever une adorable petite fille nommee Shanti (Paix, en hindi - ou peut-etre en sanskrit?). Egalement, lors d une soiree rhum and coke, Hari m a presente sa cliente quebecoise et deux nouveaux amis rencontre ici, l un britannique d origine, l autre, Indien ayant vecu en Grande Bretagne (parlant d inconstance et d imperfection... desolee si je suis un peu difficile a suivre).

Lors d une discussion enflammee, j ai decouvert un humour a l Indienne, beaucoup moins poli que je ne l aurais cru.

Au Quebec, on a les jokes de blondes et les jokes de Newfies. En France, ce sont les jokes de belges. En Inde, ce sont les jokes de Sikhs (turbans), qu ils appellent affectueusement (aloo). La raison: partout, partout dans le monde, on trouve a la fois des Sikhs et des patates.

Donc, une joke de patates que voici (je tiens d ailleurs a preciser que les Sikhs ont eux-meme rediges les reccueils les plus volumineux de ce type de blagues, faisant preuve d une auto-derision absolument exceptionnelle, dignes des quebecois):

Quatre personnes se retrouvent a discuter en se demandant quelle est la chose la plus rapide au monde. Le Catholique suggere le clignement d un oeil. Son ami Musulman propose plutot les nombreuses connections possibles dans le cerveau, bien plus rapides que quoique ce soit d autre. L Hindou les corrige, ayant la conviction que la lumiere soit l entite le plus rapide dans tout l univers.

Monsieur Patate interrompt: .

Les trois autres sont ebahis:
- C est pas complique: l autre jour, j ai pas eu le temps de penser, de cligner des yeux, d allumer la lumiere... c est sorti. >

...Il y en a des moins gentilles, je raconterai a mon retour a qui n est pas decourage.

A un autre niveau de conversation, j ai eu l occasion de poser des questions qui me brulaient les levres... et les reponses m ont etonnee.

Vekas fait rayonner sa culture et sa foi hindouiste derriere un fort accent britannique. Il parle de Durga, deesse reliee a Shiva, Dieu de la destruction et de la procreation. Parvati, le nom Indien que K.D. a gentiment choisi pour moi, en est d ailleurs une incarnation (K.D. est mon autre guide plus-meilleur-guide-du-monde, avec qui j ai parcouru la region pour environ deux semaines). Durga, dans sa forme la plus redoutable, est presentee avec huit bras, chevauchant un tigre.

Je ne peux me retenir de partager a mon interlocuteur un questionnement qui subsiste en moi depuis plus de deux semaines: < Les divinites hindouistes sont representees de maniere bien precise, voir tres personnifiees, avec huit bras, ou une tete d elephant, ou des serpents dans le cou... avec tout mon respect, si tu ne consideres pas ces traits comme des allegories ou des metaphores, mais que ta foi te dit que tes dieux ont reellement un physique aussi identifiable, peux-tu bien m expliquer pourquoi? >

Avec un grand sourire, il me repond tout simplement, avec une gestuelle tout a fait complementaire a son propos: < Tu es Quebecoise, mais maintenant, tu es Indienne aussi. Tu es a la foi une femme et une voyageuse, tu portes en toi la tristesse, la joie, la peur, le courage, bien d autres choses encore... Imagine combien tu as de bras pour tenir chaque personnalite dans une main. >
Wow. Quelle reponse.

Un peu plus tard, il me demande si je sais pourquoi les vaches sont sacrees. Evidemment, je lui reponds que je l ignore. Il m explique ceci:

< La premiere valeur de l Hindouiste est l amour et le respect que tu portes a tes parents.

- ... mais ne crois-tu pas qu il existe sur terre des parents cruels?

- Tout a fait. Et il existe egalement des enfants abandonnes a la naissance, ou dont les parents quittent ce monde en leur laissant la vie.

- Ou est le point, alors?>

Il me pose un sourire enigmatique.

< Ces enfants qui sont seuls a la naissance... Qui alors pourrait bien les nourrir... les allaiter? >

...Bien sur.

La vache.
Immanquablement associee a une figure maternelle dans ce merveilleux pays.

Meme si les questionnements demeurent bien presents (j espere, d ailleurs, qu ils ne cesseront jamais), je n ai pu que remercier Vekas d avoir si bien contruit ce pont entre deux rives, celui qui m a reellement permis de recevoir l Hindouisme, pour la premiere fois.
Se retrouver face a des differences si fondamentales dans le mode de vie, les croyances et les valeurs confronte a quelque chose d assez inattendu: sa propre rigidite. Parfois, un minimum de diplomatie peut mener a d encore plus grandes recompenses que les confidences qu elle accueille. J ai ainsi experimente un peu.

Traverser le pont de Rishikesh, celui qui traverse de fleuve sacre, est une experience decrite comme tres spirituelle. Andre Harvey a dit, si je ne m abuse, quelque chose comme: .
Je pense commencer a saisir l impact de cette phrase.