mardi 8 avril 2008

Ca termine comme ca commence?

Un 15 octobre 2007, 10 jours avant le depart, j'ai ecrit, sur ce meme blogue:

"Maintenant, je me sens comme… tsé, quand tu vois quelque chose de très gros qui va te tomber sur le pied, tu le vois presque au ralenti, ça tombe, mais ça fait pas mal tout de suite tout de suite. Pour une fraction de seconde, tu sens seulement l’élan de la douleur, comme une fusée qui décolle. Je me sens drette dans cette fraction de seconde-là. C’est la prise de conscience qui s’en vient. C’est le moment où je vais me dire : fuck, qu’est-ce que j’ai fait. "

Comique. A la veille de mon depart pour la maison, j'essaie de faire une synthese des six derniers mois, de prendre conscience que je vais retrouver mon chez moi. Je ne realise rien. Je ne rescens pratiquement aucune emotion. Je suis saturee d'etre emue, faut croire. Pour faire un lien avec le precedent extrait, disons que je me sens comme la fille qui a pris beaucoup de pilules pour calmer son mal de pied et qui ne sent pus rien pantoute. Nulle part.

Le temps de rentrer, je pense.

(Je n'ai pas oublie les 20 raisons d'aimer l'Inde, elles sont en cours d'ecriture et paraitront sur ce blogue avant ou apres mon retour pour qui veut les lire).

vendredi 4 avril 2008

Enweye, shoot!

Je n'ecris plus beaucoup parce que je suis en mode: saturation.

Aeroport dans quatre dodos. Ca acheve. Je vais tout de meme publier, comme promis, au moins une vingtaine de raisons d'aimer l'Inde. J'y travaille.

En attendant, une petite histoire qui a enjolive mon arrivee a Bombay, le 18 mars. C'est leger, mais au moins, ca a le merite d'etre arrive pour vrai (!).

*Enweye, shoot!*

Je decide de savourer cette premiere journee en solitaire a Bombay en me la coulant douce sur Colaba Causeway, la rue la plus propre et la plus pleine de magasins de la megapole. Magapole qui semble futuriste une fois directement arrivee de Varanasi, la ville la plus crottee et la plus intense qu'il ne m'ait jamais ete donnee de voir de ma vie.

Je savoure environ quinze minutes de solitude avant qu'un jeune Indien typique, c'est-a-dire lunettes fashion des annees 70, jeans pre-salis, boucle d'oreille du cote gauche, voila je dresse bien le portrait, s'approche de moi et me demande: "which country". Damn, je suis tannee de l'entendre, celle-la. Kosse tu veux me vendre, la, toi.

Est-ce que je l'ignore ou est-ce que je suis polie jusqu'a ce qu'il me laisse savoir ce qu'il veut? Ah, ce fabuleux moment de clarte, j'en ai deja parle, celui ou je peux dire: Vaaaaas t'eeeen. :)

J'opte pour la derniere option, parce que j'ai un faible pour les belles montees dramatiques. Ca fait partie du fun de voyager, non?

Mais voila que ca s'etire plus longtemps que prevu.

Qu'est-ce que tu fais. Pourquoi t'es en Inde. Combien de temps t'es a Bombay. Nanananananana. Je reponds fermement sans retourner la question, signe de desinteret typiquement feministe. Dis-le, merde, que tu vends des bebelles, ou que tu veux que je devienne ta femme, SHOOTE. Le hic, c'est qu'il ne pose aucune question indiscrete. Il ne me regarde pas avec des yeux coulants, il n'a pas les mains balladeuses, bref, il ne me lance pas la balle qui me donne le droit d'etre bitch.

Parfois, j'entre dans un magasin pour regarder les gliglis, les jeans, les sandales a brillants, en esperant qu'il aille attrapper des mouettes bien sur, mais non, il m'attend bien patiemment a l'exterieur de la boutique. Qu'est-ce que je fais?

Un moment donne j'en peux plus, et je lui demande a mon tour: "Toi, qu'est-ce que tu fais dans la vie?

- J'etudie pour devenir ingenieur et je suis en vacances de l'universite.

- Donc, qu'est-ce que tu fais dans les rues, comme ca? Tu vas rejoindre des amis? (Tu veux kidnapper des touristes pour les foutre dans le fond d'un puits, leur pitcher des pots de creme et te faire un manteau de peau blanche?)

- Je fais juste me promener et profiter de la journee."

Tres noble, finalement. Je me suis fait peut-etre traumatiser par mon Lonely Planet, qui met en garde contre toutes sortes d'atrocites qui se ramassent dans les chroniques de chiens ecrases, ou au telejournal de TQS.

Je prends un moment silencieux pour me demander si ce type aurait le potentiel pour me droguer et partir avec mon rein. Puis, je realise que ses fesses sont deux fois moins larges que les miennes. Hey hey, j'ai pas peur de toe, a bien y penser.

Finalement on passe sous l'aile d'un superbe edifice a l'architecture tres anglaise.

"C'est quoi ca?

- C'est l'universite.

- C'est ici que tu etudies?

- J'etudiais ici avant de changer de programme."

Dehors, des etudiants habilles a l'occidentale savourent un cornet de creme glacee sur les escalliers en pierre. C'est vraiment l'ete, le soleil est tappant. Et je commence a reellement apprecier mon apres-midi.

"T'as quel age?

- Quel age tu me donnes?"

Je lui regarde la tronche.

"T'as 22.

- Bingo. Toi?

- 20.

- T'es plus jeune que moi! J'aurais pas cru. Ca veut dire que t'es nee en 88?

- Juillet 87.

- Ben t'as 22 comme moi, d'abord, je suis ne en aout 87 aussi.

- Apprend a compter, dude. T'as pas 22 ans pantoute.

- Minute... On est en 2008, la? Ben... T'as raison, faut croire."


Kushaan et moi avons non seulement le meme signe astrologique, mais le meme signe chinois (meme si c’est plus assume dans mon cas); au fil de notre conversation, j'apprends que c'est a peu pres tout ce que nous avons en commun - ce qui ne nous empeche pas de passer tout l'apres-midi ensemble, a traverser la station de metro sur Colaba et le terrain de cricket pour aboutir sur la celebre Marine drive, nous asseoir sur le bord de l'eau pour compter les crabes sous un 40 degres bien rond.


Kushaan habite avec sa mere, son pere et ses deux petits freres. Il doit demander la permission a ses parents pour sortir avec des amis (il ne s’agit certainement pas une exception). Il n'a jamais bu d'alcool, jamais fume de cigarette, jamais pris de drogue.

Je ne suis pas exactement dans la meme position.

...Sauf pour ce qui est de la drogue, bien sur, maman et papa le savent que j'ai JAMAIS touche a ca de ma vie, meme pas avec un baton de bois, hein?

"Toi, tu habites avec tes parents? Qu'il me demande.

- Non. Ca fait deux ans que j'ai quitte le nid famillial.

- C'est individualiste, je trouve.

- Je pense qu'il y a du mieux et du moins mieux dans nos deux situations.

- Moi je pense que le mieux, c'est de se consacrer sur ses etudes, qu'il dit. C'est quoi l'interet d'aller vivre toute seule aussi jeune, anyway?

- Je vais te poser une question en guise de reponse: t'as-tu deja lave tes bobettes, mon gars?"

Il fait un petit sourire aspire, avec regard absent.

Laver?

...Quoi?

Beurrer ses toasts au beurre d'arachide, torcher un plancher, faire l'epicerie, ca fait pas partie de sa planete. Et les probabilites sont tout de meme presentes que ca le devienne jamais; apres mouman, c'est l'epouse qui se consacre aux taches menageres dans beaucoup de cas indiens. Je tiens cette information de sources.

"C'est quoi ton film prefere?

- Pulp Fiction.

- Pas vu.

- C'est un classique. T'as deja vu un film de Tarentino au moins?

- Oui, vu Kill Bill.

- OH YEAH! T'as vu les deux?

- Juste le premier, mais j'ai bien aime.

- Mais ca compte pas si t'as pas vu le deuxieme. C'est la qu'on apprend que Bill a garde le bebe, parce qu'en faite c'est son bebe a lui aussi (est-ce que je suis en train de vendre un punch, moi-la?)."

Au moment ou tout parait parfait, bon le bord de mer et tout, voila: il me SHOOTE ce que j'attendais depuis le debut.

Attention, c'est hardcore.

"Montre-moi ta main gauche, qu'y dit.

- QUOI?

- Ta main gauche. Veux voir.

- AAAAA-HA! Non. OVER MY DEAD BODY.

- Pourquoi?

- Parce que je sais precisement ce que tu veux lire dans ma main gauche.

- Qu'est-ce que je veux lire, d'abord?

- Tu le sais, j'ai pas besoin de te le dire.

- Si tu le sais, pourquoi tu veux pas me le dire?

- Parce que je veux pas te donner du jus.

- Je te demande pas de jus, veux juste lire ta main gauche.

- Nenenenene. Forget it."

Voila, je lui serre mollement la main avant de sauter dans un taxi. Je ne quitte pas tant a cause de sa curiosite que de ma metamorphose en red lobster.

Les circonstances ont fait que je ne l'ai jamais revu.

Et que je ne le reverrai probablement jamais.

*PARENTHAISE*

*...quelques semaines plus tot, German bakery, Lakshman Jula, Rishikesh*

Michelle la britannique, Raj l'Indien de Grece, Ashu du cafe internet et moi partageons chai et cigarettes sur le bord du Gange.

"Quelqu'un sait lire dans les lignes de la main?

- Moi je sais un peu, repond Michelle."

Elle m'attrappe la gauche.

"Ici c'est la ligne de vie. Ici c'est la ligne de la chance. La, c'est le coeur. Et la bosse ici... Ca, c'est pour savoir si t'es COCHONNE (je ne divulgue aucun resultat la-dessus sur ce blogue)."

On se la marre, et surtout a constater la parfaite plaine agricole dans la main de Raj. Je vais me coucher moins niaiseuse a soir.

*FIN DE LA PARENTHAISE*

Morale de cette histoire:

Au Canada, mesdemoiselles et mesdames, on vous a dompte a devenir des femmes fatales. On vous a appris comment detourner le regard, comment refuser gentiment avec un demi-sourire-qui-ne-veut-surtout-pas-dire-je-dis-non-mais-je-pense-oui. Depuis que vous etes petite, on vous dit de ne pas suivre les inconnus. Et on a raye, deux fois, au stylo rouge, l'option que l'homme de vos reves puisse vous aborder dans une station de metro. On a dresse pour vous la liste explicite des "circonstances" dans lesquelles des "rencontres" puissent se faire, le bar demeurant le terrain le plus borderline, et encore. Bref, quelqu'un qui veut devenir votre ami dans une situation trop improviste doit necessairement se heurter a des formules glaciales de politesse.

Mesdemoiselles, mesdames, celles qui ont voyage seules, et surtout en Inde, comprendront l'importance d'y faire une mise a jour, de type "extreme make over", de tout ce qu'on vous a appris, dans le domaine de la galenterie comme dans beaucoup d'autres.

Et voila, je remets en perspective une peur demesuree, qui date du debut de mon adolescence, quand quelqu'un que je ne connais pas vient me parler. Ca cause normalement chez moi un stress epouvantable et j'ai du apprendre a decompresser en ces lieux, question de survie pour mes pauvres nerfs. Voila que j'apprends le potentiel d'un echange avec un inconnu dans des circonstances moins... enveloppees dans du papier a bulles, dirais-je (le genre de papier qui developpe des troubles compulsifs chez moi, toujours, toujours plus de bulles a faire eclater)... Nous avons peut-etre tendance a nous priver de ce type de rencontres au nom du... quelque chose qui se rapproche du civisme mais ce n'est pas exactement ca... c'est plus pres de la prudence, en faite.

Avec Kushaan, je n'ai pas discute philosophie, politique, economie, developpement durable ou religions. Mais j'ai appris quelque chose de cet echange, tout de meme. En faite, la vie m'a dresse le portrait d'une vie presque diametralement opposee a la mienne, a l'autre bout du globe; etrangement celle d'un garcon ne sous le signe du lion en 1987. Et j'attrape a travers tout cela un petit morceau d'universalite.

Les GARCONS SONT TOUS PAREILS, dis-je.

lundi 17 mars 2008

Erratum

Un erratum special portant sur le billet: "40 raisons de s'ennuyer quand meme du Quebec", suite a la plainte d'un lecteur fidel, assidu et devoue.
J'ajoute une 41e et derniere raison de m'ennuyer du Quebec:
OUI, CHRISTIAN DUBOIS, JE M'ENNUIE DE TOI AUSSI.

dimanche 16 mars 2008

Ou va le monde?

Mes deux derniers billets, "Racines" et "40 raisons de s'ennuyer quand meme du Quebec", ont su demontre une critique un peu plus pessimiste de l'Inde.

J'ai ecrit un premier jet sur 20 raisons d'aimer le pays, pour moi-meme. Ca m'a pris trois minutes. Je pourrais en trouver mille, mais je vais les garder pour la conclusion de ce blogue, a mon retour au pays ou un peu avant. Pas vendre le punch, quand meme. Juste teaser un peu.

***

J'ai finalement mis ma rancune de cote et socialise avec le Tcheque roux.
Nous avons echange sur ces rabatteurs qui vous suivent sur les ghats, en nous matraquant de questions (which country, which country?).
" Parle moi z'en pas, qu'il dit. A toutes les fois que je repond: I come from tchek republic, ils me disent: Yes, Public, very good country."

Je compatis, mon gars. :) Maintenant t'es mon ami.

***

Je relis mon document de preparation pour mon stage au Vietnam, emis par l'organisme quebecois Horizon cosmopolite. Plusieurs questions et faits tres interessants y ont ete souleves et je vais en partager quelques uns avec mes lecteurs.

Ceux-ci ont ete inspires par le site: www.populationdata.net. Je me suis permis d'en copier certaines parties integralement pour la cause, je pense que ca vaut la peine.

Supposons que le monde entier serait un village de 100 habitants:

- Ce dernier comporterait 58 Asiatiques, 4 Africains, 14 Americains et 13 Europeens; 51 femmes, 49 hommes; 50 enfants de moins de 15 ans.

- 20 personnes (uniquement des hommes) possederaient 80% des richesses du village. Et parmi ces 20 hommes, une seule personne en possederait a lui seul la moitie.

- 42 personnes ne boiraient jamais d'eau potable.

- 5 enfants travailleraient dans des conditions d'esclavage.

- 60 personnes sauraient lire, ecrire et compter, et 40 seraient des hommes.

- 50 habitants seulement auraient acces aux soins de sante.

- 30 personnes gaspilleraient 90% des ressources naturelles et energetiques du village.

Autre fait saillant: LA MOITIE DE LA POPULATION MONDIALE vit actuellement avec moins de 2$ par jour.

***

A la lumiere de ces faits, j'ai la vive impression que l'acces a l'education au Quebec n'aura pas su nous dresser un portrait bien juste de la situation mondiale, ne serait-ce qu'une question de priorites. Derriere tant de ressources pour nous informer, nous nageons tout de meme dans une ignorance quotidienne, et j'oserais meme ajouter que nous en sommes responsables. Y'a pas vraiment de quoi peter de la broue.

Je suis avide d'en discuter plus en profondeur... Pour ceux qui aimeraient me partager leur point de vue, je serais ravie de recevoir un courriel de votre part:

vanille_pamplemousse@hotmail.com
(Oui. L'adresse que j'ai choisi quand j'avais treize ans et que je n'ai jamais pris l'initiative de changer pour quelque chose de plus... professionnel).

***

Dans un tout autre ordre d'idee, j'ai lu sur cyberpresse cette semaine qu'une femme a passe deux ans assise sur le siege de sa toilette, a se dire: je vais peut-etre sortir de la salle de bain demain. Deux ans, c'est le temps qu'a pris son conjoint pour constater qu'il y avait un probleme.

...

OU VA LE MONDE?

samedi 15 mars 2008

Racines

Dans un passe bien lointain...
Mononc Rene a fete sa retraite au chalet de Sparain et Sparaine, au Saguenay. L'un des plus gros party de famille des Tremblay-Gravel que je n'avais pas connu depuis loooongtemps. Peut-etre que je melange plus d'un party a la fois dans mes souvenirs...
Je me souviens vaguement qu'on avait bande les yeux de Mononc pour lui faire couper du bois. C'est une fois qu'on lui a retire le bandeau qu'il a ete a meme de constater qu'on avait foutu ses tits-bas sur la buche. C'etait rigolo.
Mononc Rene avait fete haut la main. Et il etait particulierement comique.
Et voila que, bonne humeur et nez rouge aidant, il se penche vers mes treize ans, pour me dire bien fort:
"Toe, la... T'as vraiment les genes de ta mere!"
Et c'est le moment de ma vie ou j'ai pleinement senti, en toute simplicite, ou etaient mes racines.
Par racines j'entends la ou on commence a pousser. Le point d'ancrage, qui ne determine pas necessairement ce que l'on devient, une plante, une fleur, un arbre, une mauvaise herbe ou une carrotte. Simplement le sol qui recoit la graine. Un point de depart.
Voici un update, un peu vague peut-etre, sur ce qui se passe avec mes racines, ici. Oh boy.

***

Commencons par un episode anodin. Il y a un tcheque roux, avec des cils roux donc ca lui fait des yeux globuleux, et un tout petit nez et un sourire gene, qui occupe la chambre en face de la mienne.
Il a decide de se consacrer aux tablas genre 12 heures par jour, il ne prend des pauses que pour aller manger sur le toit de temps en temps.
Le lecteur doit se dire: ah tiens. De quoi developper une belle complicite. Une histoire d'amour, peut-etre. Que de belles rencontres en voyage.
Non que je veuille induire le lecteur dans l'erreur:
1. J'aime pas particulierement les roux.
2. J'aimais bien les tcheques a l'age de 15 ans parce qu'ils etaient grands et blonds. Celui-la ne compte pas parce qu'il est roux. Et en plus, les tcheques sont bizarres, ils parlent jamais, et quand ils parlent on se sent toujours inconfortables.
3. IL M'ENARVE.

Je l'entends pratiquer. A journee longue. Et j'entre dans un stupide climat competitif qui me gobe ma passion. Je commencais justement a en avoir marre de passer mes journees dans cette chambre glauque de cette ville glauque pour pratiquer mes tap-tap sur la peau de chevre. Et voila que je me fais enterrer par ses tap-taps a lui, tout content d'etre meilleur que moi.

Je decide de faire preuve de bonne volonte et de le complimenter sur ses performances, quand je le croise a l'etage. Tse, se montrer interesse quand on est jaloux. C'est un pas dans la bonne direction.
" Merci, qu'il repond. Mon prof aussi t'a entendue jouer. Il dit que tu joues trop doucement, que tu n'as pas beaucoup de force."
!!!
Dude, tu viens de me tuer.

1. J'AIME PAS LES TCHEQUES. Ils sont pas normaux. Ils ne savent pas communiquer.
2. J'AIME PAS LES ROUX.
3. J'aime pus les tablas.

Eh oui. Je suis dans un pays d'exces. Je vais m'exprimer de maniere excessive.

***

Tous les apres-midis, quand je vais lire mes courriels, il y a au moins 5 personnes qui m'arretent dans les petites ruelles pour me demander: "Madam, where going? Where going Madam". Moi toute timide qui regarde le plancher, ben plancher est une hyperbole disons plutot garnotte, dechets et marde de vache, je dis: "Euhm... Going not very very far, pas besoin d'aide c'est bien gentil." Par un mecanisme bien malsain je commence a en avoir marre de me faire demander where going madam a tous les deux metres. J'envisage de me promener avec une pancarte dans le cou: Madam going not far, tank you. No help needed.

Sinon, quand je sors des ruelles pour marcher sur le bord des ghats, c'est une toute autre histoire. La, on prend son temps pour vous aborder. On s'avere generalement un jeune homme au grand sourire qui s'approche, bien gentiment, et tient a peu pres ces propos, avec une progression quasi-exacte:
" Hey, Madam! Which country? (On oublie les phrases completes, dois-je preciser, pour qui n'aurait pas remarque).
- Canada.
- Vancouver, Toronto, Montreal? (precisement dans cet ordre).
- Montreal.
- "Bonnejouw comma sava?" See, I speak french.
- Fluently, a part de t'ca.
- It's because I have some friends in Montreal.
- Le monde est petit! As-tu parle l'autre gars dix metres en arriere de nous, celui qui jase avec une grande blonde? Lui aussi il vient de me dire, v'la cinq menutes, qu'il a des amis a Montreal. C'est peut-etre les memes.
- First time in Varanasi?
- Yes.
- For how long?
- One more week (une semaine de plus ici... ca va etre loooooong).
- Madam married?
- Non, madam pas married."
No explanation needed. Je veux pas etre pognee pour expliquer que les gens de ma generation font des bebes qui naissent pas avec la benediction de la commission scolaire et pour eux, mariage est un mot appris dans des films de Walt Disney. Mais je suis pas capable de mentir.
Comble: pour repousser les intrus, j'ai meme pas pris l'initiative de m'acheter un faux jonc et faire semblant d'etre trainee dans ce pays bordelique par mon pauvre mari en voyage d'affaire. Mari qui pese 200 livres de muscles et qui aime pas trop qu'on me suive dans la rue, cela va sans dire. Non. Meme pas fait l'effort de m'inventer un male pour la cause.

Maintenant qu'on a fait le tour de la question, mon origine, mon statut, ma langue maternelle, Monsieur-je-viens-te-deranger-dans-les-rues-de-Varanasi-pour-devenir-ton-ami se lance:
"Veux-tu voir mon magasin de soie?"
Aaaaaah comme j'aime ce moment delicieux de la conversation ou il en vient au gros jus du propos. L'instant tant attendu ou je peux dire: NOOOOOOON je veux rieeeeeeen j'aime pas magasiner, j'ai besoin de rien, de rien, de l'eau, du pain et de l'AMOUR!
C'est plus facile de leur dire non quand ils disent directement ce qu'ils veulent.

... sauf quand ils ont 8 ans et qu'ils vendent des bougies ou des cartes postales.

Ils sont des centaines dans cette situation - et ils sont tous beaux. C'est epouvantable devoir travailler a cet age-la, ca vient secouer l'idee qu'on peut se faire de la justice, visceralement. C'est difficile de dire non. Mais on peut pas dire oui tout le temps. Et on se demande si on aide vraiment en achetant. On veut boycotter. On veut aider. On veut s'assurer que l'argent se retrouve dans ses poches. La situation nous depasse. Fuck, il a huit ans.

Un soir je marche sur les ghats pour me rendre a l'hotel. Un petit garcon particulierement mignon me suit avec son panier de chandelles et engage la conversation. Je n'ai pas de change, alors je lui promets que si je le recroise dans les jours a venir, je vais lui acheter une, une petite chandelle.

Le lendemain, comme de fait, Maryse et moi nous levons a 5 heures pour aller voir le soleil se lever sur le Gange, lors d'une promenade en bateau. En montant dans la barque, qui je vois pas.
" Je le reconnais, lui! Que je dis a Maryse. Je lui avais promis que je lui acheterais une chandelle."
Je lui fais signe de monter a bord, que je puisse respecter ma promesse.
" Ils font ben pitie, mais c'est toutes des p'tits crisses, me dit Maryse.
- Non, lui il est gentil. "
Je sors un billet de 10 roupies, sachant que sa marchandise en vaut 5.
Le gamin me regarde avec dedain et se met a m'engueuler:
" Seulement dix roupies? Tu es riche, tu peux payer plus que ca. Combien tu mets? "
Je n'ai eu besoin que d'ouvrir grands les yeux pour qu'il prenne les dix roupies en vitesse et regagne la rive par une autre embarquation.

" ...P'tit crisse.
- Je te l'avais dit."
- Je sais pas quoi penser, Maryse. Je suis biaisee. Je comprends pas ce pays.
- C'est quoi ca?
- Quoi?
- Ca?" dit-elle en me pointant la rive.
Merde.
Merde.
Merde.
" C'est un cadavre de femme.
- Et ce qui se fait manger par un corbeau, c'est...
- C'est son entre-jambes. "
Oui.
A cote, comme sur une carte postale, c'est l'offrande au fleuve, les femmes y prennent leur bain en sari sous la douce lumiere d'un soleil oranger. Personne ne semble remarquer quoique ce soit. Ca fait partie du paysage.
Le batelier rigole, se fout un peu de notre gueule et explique le principe du ghat de cremation, ou ils font bruler les defunts 24 heures sur 24 apres les avoir enveloppes dans de magnifiques linges blancs, pour ensuite jeter leurs cendres dans le Gange et liberer leurs ames. "On ne brule pas tous les corps. Les animaux, les enfants, les saddhus, les lepreux et les femmes enceintes sont directement jetes a l'eau , apres avoir ete attaches a une grosse roche."
Tiens tiens. Ca fait partie de la culture... comme la mort fait partie de la vie, faut croire.

***

J'ai mon cours de tabla. Le dernier, je l'espere, il faudra en convaincre Guru-jee (!!!).
Je suis aussi saturee de cet instrument que de cette ville. Noter que j'ai passe deux jours au lit a manger des advils comme des Ringolos. A essayer de dormir. Malgre les percussions de mon charmant voisin.
Mon professeur vient d'entrer, je mets mon echarpe jaune a l'effigie de Shiva sur mes genoux pour lui faire plaisir, je m'echauffe un peu sur le tambour.
Il n'en faut pas plus pour que L'AUTRE d'a cote se decide a m'enterrer.
Toum toum Ta Ta Toum Toum-ecoute-comment-chuis-bon Ta-Ta-toi-tu-joues comme-une-moumoune. LA PAIIIIIX!

Je glisse un mot a mon professeur.
" Puisque je quitte bientot Varanasi pour Mumbay, je pense que je ce cours sera mon dernier.
- Pourquoi? (TOUJOURS expliquer).
- Parce que... j'ai des commissions a faire.
- Je peux venir a cinq heures.
- Tu viens TOUJOURS a cinq heures. Et a tous les jours je ne fous rien a part aller sur Internet parce que mon cours est a cinq heures. Tous les jours je me dis que je vais avoir le temps de faire autre chose, mais c'est jamais vrai.
- No problem. Je vais venir a cinq heures, alors.
- Non tu comprends pas. Je veux PAS avoir de cours demain (gosh, c'est dont bien difficile).
- Pourquoi?
- Je commence a manquer de concentration. "
Toum toum Ta Ta Toum Toum-ecoute-comment-chuis-bon Ta-Ta-toi-tu-joues comme-une-moumoune, toujours en background.
" D'accord, je comprends. "
Comme ce fut evident.
Tout est evident ici.
" Ton echarpe, mets-la sur tes epaules, me dit Guru-jee.
- Pardon?
- Ne mets pas l'echarpe sur tes jambes. Shiva regarde du haut de l'Himalaya et il n'aime pas ca, c'est vulgaire. Mets-la sur tes epaules."
TU ME NIAISES.

Soudainement, c'est physique.
J'ai une montee de trop-plein.

J'ai envie, TELLEMENT envie de lui dire ceci:

Il y a centaines de milliards d'etoiles dans cette galaxie, et des milliards de galaxies dans l'univers. Peux-tu m'expliquer comment un Dieu assez grand pour creer tout ca peut faire tenir ses fesses sur un sommet de l'Himalaya? Et par le fait-meme, un Dieu qui a choisi de n'informer que l'Inde de sa domination sur le MONDE ENTIER pourrait-il vraiment etre fru contre une Quebecoise, qu'il a tenue dans l'ignorance presque toute sa vie, parce qu'elle met une FOUTUE ECHARPE SUR SES GENOUX?

Mes racines sont ebranlees. En faite, c'est l'idee que je puisse me faire des racines du monde qui sont completement ebranlees. Les reponses ne sont ecrites nulle part.
Et l'Inde me le rappelle a chaque minute.

Mais croire, c'est croire. Et la croyance fait partie des racines de l'homme.
Je regarde les grands yeux lumineux mon professeur, plein de bonne volonte. Je me contente de dire en riant:
" Il fait 30 degres, c'est un peu chaud pour l'echarpe.
- On peut partir la fanne! "
Ben oui. C'est LOGIQUE.

Je pars la fanne, je mets l'echarpe sur mes epaules.


Le respect. Ca aussi, et surtout, ca fait partie de mes racines.

lundi 10 mars 2008

40 raisons de s'ennuyer quand meme du Quebec

Un jour avant que je parte, sur le toit d'un restaurant de Rishikesh autour d'une heure ou deux du matin, Raj (Indien de Mumbay etabli en Grece, dois-je le rappeler) s'engage dans des discussions avec le sang qui bouille. Et il m'engueule. Il m'engueule parce que, supposement, je ne montrerais pas un regard bien objectif sur l'Inde, je serais trop optimiste, trop gentille, trop inconditionnelle et ca l'emmerde. "Apprend a chialer, Kshatrya."

!!! Quelle surprise.

Je suis polie et respectueuse de l'Inde.

Je ne veux emmerder ni Indiens ni Quebecois en blamant les moins bons cotes de ce pays qu'il me prendrait plus d'une vie pour comprendre bien en profondeur. Chialer est mauvais pour la sante.

Mais ici, pour mettre les choses bien claires, avec tout mon amour pour l'Inde, je vais me lacher lousse.

20 RAISONS DE NE PAS AIMER L'INDE

1. Il y a toujours au moins 8 fautes dans un menu.

2. L'electricite choisit un moment de la journee pour planter. Si vous avez besoin de prendre une douche, too bad. Si vous utilisez Internet, too bad.

3. Dans toutes les salles de bain propres, il y a des boules a mites.

4. Impossible de trouver une secheuse. Laveuse est deja ici le summum de la modernite.

5. Meme quand ca fait longtemps que t'es la, pour celui qui veut te vendre quelque chose, tu viens toujours d'arriver. C'est incomprehensible pour un vendeur de cartes postables qu'une chataine a la peau blanche qui porte des jeans n'en ait pas besoin.

6. Tu te reveilles avec des piqures louches a des endroits louches.

7. Les indiens pensent que la patate est un legume sante. Ils ignorent ce que feculent signifie, alors ils te servent du curry de pommes de terre avec du riz et du pain. Non, l'Inde ne respecte pas le guide alimentaire canadien.

8. D'ailleurs, pour les occidentaux, la tomate est generalement un legume rouge et juteux avec un gout sucre et acide. On la retrouve dans la section legumes du supermarche ou en boite, pour en faire des sauces. Ici, "tomate" et "ketchup" sont souvent employes comme des synonymes. Attention si vous commandez des "pates aux tomates" en Inde.

9. Dans la rue, marcher implique un stress constant. Surveillez toujours ce sur quoi vous pouvez mettre le pied (comprendre: BOUSE de vache), ce qui peut vous tomber dessus (comprendre: CRACHAT du gars sur son toit), ce qui peut vous foncer dedans (comprendre: un eventail larges de corps en mouvements allant de la vache a la brouettes pleine de ciment et au becyk a gaz).

10. Oui. ENCORE la diarrhee.

11. On te regarde en riant, et tu n'as aucune idee pourquoi.

12. Tu peux jamais te brosser les dents avec l'eau du robinet.

13. Tu peux pas sortir en boxers sur ton balcon.

14. Tu bronzes juste des bras.

15. Ce que tu as VRAIMENT envie de manger, soit c'est introuvable, ou soit ton medecin te l'a defendu. Genre: sushis, on oublie ca.

16. Tu sais que tu pues.

17. La seule facon d'avoir l'air propre, c'est de porter du brun.

18. Des corps etrangers font partie de la nourriture. Des poils, par exemple.

19. Peu importe ce que tu demandes, les chances sont fortes que tu devras le repeter. Plusieurs fois.

20. Quand tu vas voir un film de Bollywood, tu vas attendre que les deux protagonistes s'embrassent. BEN Y S'EMBRASSERONT PAS. Leur cinema, c'est juste du gros teasing.

***

Je vais meme rajouter une couche pour mettres les choses ENCORE PLUS CLAIRES.

20 RAISONS DE S'ENNUYER DU QUEBEC

1. Le pain de St-Fulgence. Quelques lecteurs seulement comprendront la reference.

2. Quand on va au cinema, les toilettes sont super classe. Partout.

3. Parce que je peux jouer aux des (des avec accent aigu) avec ma grand-maman Rose meme si elle gagne tout le temps.

4. Parce que je peux me promener en auto avec ma mere et avoir le controle du systeme de son.

5. Parce que je peux aller dejeuner sur la rue Laurier ou St-Denis.

6. Parce que je peux aller souper chez mon papa et Isabelle, avoir des discussions animees en buvant du bon vin.

7. Parce que je peux m'endormir sur mon sofa au lever du soleil.

8. Parce que je peux attrapper le journal Voir au Provigo du coin et le lire devant un VRAI cafe de CAFETIERE et non sa copie en poudre.

9. Parce que j'ouvre grandes les fenetres de l'appart quand il pleut.

10. A cause du Festival de jazz, ou je peux me tremper les pieds dans la fontaine de la place des arts.

11. Parce que je peux laver MES planchers, MES draps, MA vaisselle. Laver sur de la musique des annees 80, cuisiner sur du jazz.

12. Parce que Aude sait toujours illuminer mes journees par un commentaire reflechi du genre: "avais-tu deja remarque que le poulet-mascotte de chez St-Hubert, la... Il etait CANNIBALE?"

13. A cause du Passeport, ferme maintenant malheureusement, mais le monde, le staff en particulier, la poutine aux pois verts et au bacon a cinq heures du mat, les pauses cigarettes, les potins, et meme la musique de mini-putt que Mathieu fait jouer avant l'ouverture.

14. Mes cours de son avec Guy, qui se transforment immanquablement en soupers aux paninis avec vin blanc et discussion sur les predictions apocalyptiques des Mayas.

15. Partager un pichet de Sangria sur une terrasse a cinq heures, en plein ete.

(Non. Je ne m'ennuie pas de l'hiver. J'ai vu les photos. Je suis pas jalouse de votre neige, ca, je l'admets).

16. Les pitounes du village (Julie, Chloe, Maite, Denise), et vos partys hawaiens. Je veux macarena dans le tapis a mon retour.

17. Mon cousin anonyme qui m'appelle tout content parce qu'il vient de se faire une nouvelle blonde, mais que celle-la elle a pas les cheveux blonds par exemple, contrairement a toutes les autres. Je te niaise Thierry.

18. Francois Perusse. RBO. Notre humour completement absurde et auto-derisoire. Ca manque.

19. De la tarte aux bleuets.

20. MES LECTEURS! :) Bonne fete Isabelle et bonne fete Mado, oui, c'est aujourd'hui.

***

Aucun doute, l'Inde me manquera egalement. Une simple petite pensee pour dire que malgre un etrange sentiment d'appartenance pour ce pays, je sais ou sont mes racines. Et c'est important. J'y reviendrai.

vendredi 7 mars 2008

Jus de main

Nous nous installons a sept sur le lit double d'une chambre libre au rez-de-chaussee: deux hommes, deux jeunes femmes, une sitar et deux tablas.

Maryse a craque pour les cordes; j'ai suis davantage attiree par les percussions. C'est a l'improviste que nous avons decide de suivre des lecons de musique a meme le guesthouse sous les conseils de son proprietaire (qui, d'ailleurs, s'averait jadis a posseder son propre magasin d'instruments, d'ou ses nombreux contacts).

Sitar et tablas sont un couple indien aussi celebre que Rama et Sita, d'ou l'interet de partager la cacophonie du premier cours.

Le professeur de Maryse est chetif et porte de petites lunettes qui donnent l'air intelligent; il la force a s'asseoir dans une position manifestement insupportable afin de mieux pincer les cordes. Mon professeur a moi est un petit homme souriant et chaleureux, avec de grands yeux noirs et une epaisse chevelure.

Il m'attrappe la main droite et la pognasse genereusement.

"Dieu t'as donne de bonnes mains, qu'il dit. C'est bon, t'as beaucoup de peau, belle synergie avec celle de la chevre. Good karma."

C'est surprenant qu'il me dise ca parce que ma professeur de cuisine m'avait deja beaucoup parle des mains. "La bouffe indienne n'est bonne seulement parce qu'on mange avec les mains, qu'elle dit, mais parce qu'on cuisine avec les mains. Ca prend du JUS de main."

Avec tous les dhals et les curry, une palette impressionnante de pains (Naan, chapati, parantha, dosa, etc.) servent effectivement d'ustenciles. Leur delicate confection faisait partie integrale de mes lecons, par consequent j'ai passe un temps impressionnant a jouer dans la pate. Peu importe ce que vous pouvez imaginer, ce n'est JAMAIS assez mou; il faut malaxer comme un homme, avec le poing, la paume, les jointures. Au bout d'un moment la pate prend la temperature du corps, et on lui donne un peu une ame de mammifaire a sang chaud, elle finit par ne faire qu'un avec le mou de main.
Mou de main aidant, je cogne sur les tablas et pas un son.
"Pense a Shiva, il aime bien danser. Si tu joues pour lui, il va t'apporter son aide."
Le type est serieux.
Je me concentre sur le regard bienveillant de Shiva, imposant sur une affiche geante a cote de la penderie.
Quelque chose me dit soudainement de recommencer le lendemain.

...Et depuis une semaine, j'en fais trois heures par jour.

***

Le principe du guru (ou professeur, en hindi): l'obeissance absolue de ses eleves. Guru-jee dit: coupe-toi l'annulaire et deguise-le en giraffe, on niaise pas, il s'attend vraiment a ce que tu le fasses.

C'est ce qui m'est arrive.
...
Non. C'est une blague.

J'ai pourtant decide d'adopter la philosophie indienne et, contrairement a tous les profs de piano, de chant ou de guitare que j'ai eus dans ma vie, j'ai decide de faire exactement ce guru-jee me demanderait.

Il faut dire que Andu Guru-jee n'est pas du genre a peter de la broue. Peu importe ce que je fais, il sourit en disant: "Good hands."

Tous les jours, j'ouvre grandes les fenetres de ma chambre et la porte du hall, et je s'accueille mon professeur en joignant les deux mains : "Namaste guru-jee", ce a quoi il repond avec le meme geste: "Namaste Genevieve-jee". Quand on appelle son interlocuteur jee, c'est un grand signe de respect, generalement adresse aux aines. Mon professeur me dit jee, parce qu'il aime bien mon karma.
Un jour d'ailleurs il m'appelle: "Rajkumari-jee" (princesse-jee), parce qu'il sait que ca me fait sourire et il dit que c'est bien mieux de sourire quand on joue des tablas.

Et nous mettons les bouchees doubles pour deux bonnes heures a se matraquer les jointures sur le cuir. Quand j'ai trop mal quelque part (et les zones sont nombreuses, etonnamment, car jouer du tabla implique tout le corps), je commande du chai brulant et l'ecoute jouer pour quelques minutes. Ses doigts deviennent litteralement des papillons sur l'instrument et il emplit la piece d'une grande joie de vivre.

Parce que vraiment, je suis surprise de constater a quel point les tablas rendent heureux.

***

De retour sur le toit avec Maryse, un groupe de jeunes voyageurs aux origines heterogenes accaparent la television pour se tapper la trilogie du Seigneur des anneaux. Maryse est enthousiaste et s'arme de patience pour m'en faire le recit - entrecoupe, biensur, de premieres conversations avec les autres backpackers.

Avant la fin du deuxieme tome, nous nous retrouvons entasses a huit dans une de nos modestes chambres pour un grand jam sitar-tablas-guitare-flute. Ma performance a une odeur bizarre, mais tout de meme. Je pense a Shiva.

***

Deuxieme nuit de la Shivratri, nous sortons en gros groupe dans les rues animees pour aller voir un concert gratuit. Ce que j'ignore encore quand nous quittons le guesthouse avec une gourde de benglassi (cadeau du staff de l'hotel), c'est que je m'apprete a voir a l'oeuvre une veritable legende du tabla.

Apres avoir marche pendant pres d'une demie-heure, nous aboutissons pres du temple de Durga, ou une grande salle en plein air accueille plusieurs centaines de gens. Nous prenons place sur l'immense drap blanc pose au sol, assez loin pour ne rien voir, mais apprecions tout de meme un long interlude du trio sitar-tablas-danse. Evidemment, moi je pense qu'on est deja dans le jus du spectacle et j'aime bien, je crois que c'est le grand maitre que je vois a l'oeuvre.
Non.
Le grand maitre, Zakir Hussein, apparait beaucoup plus tard, apres un tres long discours ou les benglasseux en extase se tappent la poitrine comme Celine Dion, nous on applaudit quand tout le monde le fait.
Le maitre s'echauffe les doigts pendant longtemps. Je me pogne le beigne, moi qui pensais que le spectacle allait finir une heure plus tot. En plus, vois rien.
Mais quand il commence a jouer POUR VRAI, je me rends rapidement compte que je n'ai pas besoin d'etre bien placee: au bout d'un moment, c'est immanquable, je ferme les yeux. Les sons percutent bien au-dela des tympans, ils se transforment plutot en courant electrique qui me parcourent l'echine pendant plus d'une heure. C'est de la magie par intraveineuse, c'est de l'acuponcture auditive. Incroyable, tout simplement, ce que des mains humaines peuvent arriver a faire.

Quand je me remets debout, je n'ai qu'une idee en tete: je veux mes tablas.
C'en est obsedant.


MES PRECIEUX.