vendredi 4 avril 2008

Enweye, shoot!

Je n'ecris plus beaucoup parce que je suis en mode: saturation.

Aeroport dans quatre dodos. Ca acheve. Je vais tout de meme publier, comme promis, au moins une vingtaine de raisons d'aimer l'Inde. J'y travaille.

En attendant, une petite histoire qui a enjolive mon arrivee a Bombay, le 18 mars. C'est leger, mais au moins, ca a le merite d'etre arrive pour vrai (!).

*Enweye, shoot!*

Je decide de savourer cette premiere journee en solitaire a Bombay en me la coulant douce sur Colaba Causeway, la rue la plus propre et la plus pleine de magasins de la megapole. Magapole qui semble futuriste une fois directement arrivee de Varanasi, la ville la plus crottee et la plus intense qu'il ne m'ait jamais ete donnee de voir de ma vie.

Je savoure environ quinze minutes de solitude avant qu'un jeune Indien typique, c'est-a-dire lunettes fashion des annees 70, jeans pre-salis, boucle d'oreille du cote gauche, voila je dresse bien le portrait, s'approche de moi et me demande: "which country". Damn, je suis tannee de l'entendre, celle-la. Kosse tu veux me vendre, la, toi.

Est-ce que je l'ignore ou est-ce que je suis polie jusqu'a ce qu'il me laisse savoir ce qu'il veut? Ah, ce fabuleux moment de clarte, j'en ai deja parle, celui ou je peux dire: Vaaaaas t'eeeen. :)

J'opte pour la derniere option, parce que j'ai un faible pour les belles montees dramatiques. Ca fait partie du fun de voyager, non?

Mais voila que ca s'etire plus longtemps que prevu.

Qu'est-ce que tu fais. Pourquoi t'es en Inde. Combien de temps t'es a Bombay. Nanananananana. Je reponds fermement sans retourner la question, signe de desinteret typiquement feministe. Dis-le, merde, que tu vends des bebelles, ou que tu veux que je devienne ta femme, SHOOTE. Le hic, c'est qu'il ne pose aucune question indiscrete. Il ne me regarde pas avec des yeux coulants, il n'a pas les mains balladeuses, bref, il ne me lance pas la balle qui me donne le droit d'etre bitch.

Parfois, j'entre dans un magasin pour regarder les gliglis, les jeans, les sandales a brillants, en esperant qu'il aille attrapper des mouettes bien sur, mais non, il m'attend bien patiemment a l'exterieur de la boutique. Qu'est-ce que je fais?

Un moment donne j'en peux plus, et je lui demande a mon tour: "Toi, qu'est-ce que tu fais dans la vie?

- J'etudie pour devenir ingenieur et je suis en vacances de l'universite.

- Donc, qu'est-ce que tu fais dans les rues, comme ca? Tu vas rejoindre des amis? (Tu veux kidnapper des touristes pour les foutre dans le fond d'un puits, leur pitcher des pots de creme et te faire un manteau de peau blanche?)

- Je fais juste me promener et profiter de la journee."

Tres noble, finalement. Je me suis fait peut-etre traumatiser par mon Lonely Planet, qui met en garde contre toutes sortes d'atrocites qui se ramassent dans les chroniques de chiens ecrases, ou au telejournal de TQS.

Je prends un moment silencieux pour me demander si ce type aurait le potentiel pour me droguer et partir avec mon rein. Puis, je realise que ses fesses sont deux fois moins larges que les miennes. Hey hey, j'ai pas peur de toe, a bien y penser.

Finalement on passe sous l'aile d'un superbe edifice a l'architecture tres anglaise.

"C'est quoi ca?

- C'est l'universite.

- C'est ici que tu etudies?

- J'etudiais ici avant de changer de programme."

Dehors, des etudiants habilles a l'occidentale savourent un cornet de creme glacee sur les escalliers en pierre. C'est vraiment l'ete, le soleil est tappant. Et je commence a reellement apprecier mon apres-midi.

"T'as quel age?

- Quel age tu me donnes?"

Je lui regarde la tronche.

"T'as 22.

- Bingo. Toi?

- 20.

- T'es plus jeune que moi! J'aurais pas cru. Ca veut dire que t'es nee en 88?

- Juillet 87.

- Ben t'as 22 comme moi, d'abord, je suis ne en aout 87 aussi.

- Apprend a compter, dude. T'as pas 22 ans pantoute.

- Minute... On est en 2008, la? Ben... T'as raison, faut croire."


Kushaan et moi avons non seulement le meme signe astrologique, mais le meme signe chinois (meme si c’est plus assume dans mon cas); au fil de notre conversation, j'apprends que c'est a peu pres tout ce que nous avons en commun - ce qui ne nous empeche pas de passer tout l'apres-midi ensemble, a traverser la station de metro sur Colaba et le terrain de cricket pour aboutir sur la celebre Marine drive, nous asseoir sur le bord de l'eau pour compter les crabes sous un 40 degres bien rond.


Kushaan habite avec sa mere, son pere et ses deux petits freres. Il doit demander la permission a ses parents pour sortir avec des amis (il ne s’agit certainement pas une exception). Il n'a jamais bu d'alcool, jamais fume de cigarette, jamais pris de drogue.

Je ne suis pas exactement dans la meme position.

...Sauf pour ce qui est de la drogue, bien sur, maman et papa le savent que j'ai JAMAIS touche a ca de ma vie, meme pas avec un baton de bois, hein?

"Toi, tu habites avec tes parents? Qu'il me demande.

- Non. Ca fait deux ans que j'ai quitte le nid famillial.

- C'est individualiste, je trouve.

- Je pense qu'il y a du mieux et du moins mieux dans nos deux situations.

- Moi je pense que le mieux, c'est de se consacrer sur ses etudes, qu'il dit. C'est quoi l'interet d'aller vivre toute seule aussi jeune, anyway?

- Je vais te poser une question en guise de reponse: t'as-tu deja lave tes bobettes, mon gars?"

Il fait un petit sourire aspire, avec regard absent.

Laver?

...Quoi?

Beurrer ses toasts au beurre d'arachide, torcher un plancher, faire l'epicerie, ca fait pas partie de sa planete. Et les probabilites sont tout de meme presentes que ca le devienne jamais; apres mouman, c'est l'epouse qui se consacre aux taches menageres dans beaucoup de cas indiens. Je tiens cette information de sources.

"C'est quoi ton film prefere?

- Pulp Fiction.

- Pas vu.

- C'est un classique. T'as deja vu un film de Tarentino au moins?

- Oui, vu Kill Bill.

- OH YEAH! T'as vu les deux?

- Juste le premier, mais j'ai bien aime.

- Mais ca compte pas si t'as pas vu le deuxieme. C'est la qu'on apprend que Bill a garde le bebe, parce qu'en faite c'est son bebe a lui aussi (est-ce que je suis en train de vendre un punch, moi-la?)."

Au moment ou tout parait parfait, bon le bord de mer et tout, voila: il me SHOOTE ce que j'attendais depuis le debut.

Attention, c'est hardcore.

"Montre-moi ta main gauche, qu'y dit.

- QUOI?

- Ta main gauche. Veux voir.

- AAAAA-HA! Non. OVER MY DEAD BODY.

- Pourquoi?

- Parce que je sais precisement ce que tu veux lire dans ma main gauche.

- Qu'est-ce que je veux lire, d'abord?

- Tu le sais, j'ai pas besoin de te le dire.

- Si tu le sais, pourquoi tu veux pas me le dire?

- Parce que je veux pas te donner du jus.

- Je te demande pas de jus, veux juste lire ta main gauche.

- Nenenenene. Forget it."

Voila, je lui serre mollement la main avant de sauter dans un taxi. Je ne quitte pas tant a cause de sa curiosite que de ma metamorphose en red lobster.

Les circonstances ont fait que je ne l'ai jamais revu.

Et que je ne le reverrai probablement jamais.

*PARENTHAISE*

*...quelques semaines plus tot, German bakery, Lakshman Jula, Rishikesh*

Michelle la britannique, Raj l'Indien de Grece, Ashu du cafe internet et moi partageons chai et cigarettes sur le bord du Gange.

"Quelqu'un sait lire dans les lignes de la main?

- Moi je sais un peu, repond Michelle."

Elle m'attrappe la gauche.

"Ici c'est la ligne de vie. Ici c'est la ligne de la chance. La, c'est le coeur. Et la bosse ici... Ca, c'est pour savoir si t'es COCHONNE (je ne divulgue aucun resultat la-dessus sur ce blogue)."

On se la marre, et surtout a constater la parfaite plaine agricole dans la main de Raj. Je vais me coucher moins niaiseuse a soir.

*FIN DE LA PARENTHAISE*

Morale de cette histoire:

Au Canada, mesdemoiselles et mesdames, on vous a dompte a devenir des femmes fatales. On vous a appris comment detourner le regard, comment refuser gentiment avec un demi-sourire-qui-ne-veut-surtout-pas-dire-je-dis-non-mais-je-pense-oui. Depuis que vous etes petite, on vous dit de ne pas suivre les inconnus. Et on a raye, deux fois, au stylo rouge, l'option que l'homme de vos reves puisse vous aborder dans une station de metro. On a dresse pour vous la liste explicite des "circonstances" dans lesquelles des "rencontres" puissent se faire, le bar demeurant le terrain le plus borderline, et encore. Bref, quelqu'un qui veut devenir votre ami dans une situation trop improviste doit necessairement se heurter a des formules glaciales de politesse.

Mesdemoiselles, mesdames, celles qui ont voyage seules, et surtout en Inde, comprendront l'importance d'y faire une mise a jour, de type "extreme make over", de tout ce qu'on vous a appris, dans le domaine de la galenterie comme dans beaucoup d'autres.

Et voila, je remets en perspective une peur demesuree, qui date du debut de mon adolescence, quand quelqu'un que je ne connais pas vient me parler. Ca cause normalement chez moi un stress epouvantable et j'ai du apprendre a decompresser en ces lieux, question de survie pour mes pauvres nerfs. Voila que j'apprends le potentiel d'un echange avec un inconnu dans des circonstances moins... enveloppees dans du papier a bulles, dirais-je (le genre de papier qui developpe des troubles compulsifs chez moi, toujours, toujours plus de bulles a faire eclater)... Nous avons peut-etre tendance a nous priver de ce type de rencontres au nom du... quelque chose qui se rapproche du civisme mais ce n'est pas exactement ca... c'est plus pres de la prudence, en faite.

Avec Kushaan, je n'ai pas discute philosophie, politique, economie, developpement durable ou religions. Mais j'ai appris quelque chose de cet echange, tout de meme. En faite, la vie m'a dresse le portrait d'une vie presque diametralement opposee a la mienne, a l'autre bout du globe; etrangement celle d'un garcon ne sous le signe du lion en 1987. Et j'attrape a travers tout cela un petit morceau d'universalite.

Les GARCONS SONT TOUS PAREILS, dis-je.

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