jeudi 1 novembre 2007

coloriage

Je n’ai pas encore fait développer les photos des enfants.
En faite, parmi les commissions urgentes, qui demanderont plusieurs heures de mon temps – investi, majoritairement, dans le transport en commun – , voici :
- Acheter des draps. Si la chaleur était suffoquante à mon arrivée, maintenant, y mouille et y fait frette; je suis tannée de me réveiller la nuit pour m’envelopper dans ma serviette.
- Acheter des gougounes. La loi de la gravité veut que l’eau qui coule dans le lavabo se retrouve presque immédiatement sur mes pieds, je me fais encore avoir (la tuyauterie, on compte pas là-dessus). Le sol des salles de bain est toujours mouillé - dois-je rappeler qu’aucune distinction physique n’existe ici entre la douche et la salle de bain, en totale harmonie l’une avec l’autre, comme le Yin et le Yan; l’eau vaque, feng-shui-euh-ment, dans toute la pièce.
- Acheter un petit sac, tout petit, qu’on peut cacher dans le d’sous d’bras. Dans les autobus bondés, je ne veux pas traîner quelque chose de trop volumineux, mais j’en ai également marre de fouiller dans la pochette secrète de mon mollet au milieu de tout ce beau monde bridé.
- Acheter des snacks et des fruits. J’en ai assez de toujours manger des toasts aux pinuts/marmelade avec un café instantané.
- Acheter une carte de la ville. Parce que c’est la chose la plus utile à avoir, en ce moment.
- Acheter un dictionnaire français/vietnamien. Parce que c’est la chose la plus utile à avoir après la carte de la ville.
- Acheter un vietnamien tout court, finalement. Aye toi, va me chercher à manger, et que ça saute.

***

Il mouille.
Je vais au cours, sans les photos pour faire du bricolage.
Les enfants ont une gueule de pluie, et l’enseignante me fait une face de bœuf. En me voyant arriver, c’est à peine si elle tire les lèvres légèrement vers les extrémités de son visage, je pense pas qu’on puisse appeler ça un sourire. Et quand elle me dit bonjour, je sais pas si je peux appeler ça un murmure. Elle est assise derrière son bureau, silencieuse.
Et les enfants colorient tous, encore, le même putain de chien.
Je passe à côté de chacun d’entre eux, j’essaie de séparer mon temps égal. Je regarde le coloriage, et j’essaie de mesurer le degré de participation nécessaire. Difficile à évaluer.
« Ils ont besoin d’aide pour développer leur motricité », m’a-t-on dit.
« Ce type de stage est l’occasion idéale pour développer ta créativité et ton sens du leadership », m’a-t-on aussi dit.
Est-ce que je manque VRAIMENT d’initiative, ou est-ce que je redoute, par exemple, d’entrer en classe avec mon radio-cassette pour dire : « Enweye, on joue à la chaise musicale! », quand juste les yeux de la prof remettent en question ma raison d’être venue au monde?
On s’entend que, si on considère mon niveau de compréhension de ce qui se déroule dans cette pièce, je serais classée à un degré bien inférieur à celui des élèves auxquels je suis sensée enseigner les joies de la motricité.
La prof ne me regarde même pas.
Je suis soudain tellement, tellement à bout de fatigue que j’ai envie de me coucher sur le plancher. Au lieu, je me dis : bon, tentons de communiquer. Je vais voir la prof, qui a l’air si plongée dans ses lectures, lui demande s’il y a quelque chose que je puisse faire pour elle.
« Oui », dit-elle, avec la douceur d’une brise dans les feuilles des palmiers.
« Aide-les à colorier. »
Ok. Pouvez-vous, s’il-vous-plait, m’enseigner la manière vietnamienne d’AIDER quelqu’un à colorier? Genre, je pogne le poignet pis je zigonne pour lui faire faire des barbots?
Parce que, ma manière à moi serait de dessiner des bigoudis au chien, mais est-ce que j’offusque quelqu’un en faisant ça, ici?
Si seulement j’avais un minimum de vocabulaire pour donner des directives.
…D’ailleurs, est-ce que je peux donner des directives, est-ce que je suis en position d’autorité? Est-ce que je pourrais dire au p’tit gêné, celui qui a rasé huit crayons de la même couleur: je veux PAS que tu colories le chien en rouge, fais-le dont beige? Pis tu vois, sur cette page-là, y’a des pointillés. Au lieu de barbouiller n’importe où, pourquoi tu tracerais juste pas une ligne pour relier les pointillés? Essaie de pas dépasser, pèse moins fort sur le crayon, garde la même couleur pour les pattes pis les oreilles, j’ai le droit, moi, de dire ça?
Et même si je pouvais le faire, come on, C’EST QUOI LE RAPPORT? Est-ce que j’ai vraiment fait deux jours d’avion pour chialer sur la façon dont un enfant dessine? Est-ce que j’impose lourdement ma façon de faire occidentale, de manière subliminale, en faisant comprendre qu’un chien, c’est PAS rouge, et que t’es PAS sensé dépasser des liiiiiignes?
À un autre niveau: peut-être que les quelques heures passées en ces lieux ne font pas une juste rétrospective de l’année scolaire. Mais quand je vois cette classe, si hétérogène, où les élèves ont parfois mon âge, où certains ont l’air en parfaite santé physique et même mentale, je ne veux pas m’imaginer que tout ce qu’ils font dans une journée, c’est colorier.
Considérer cette possibilité vient me chercher dans mes trippes.
Ça me donne envie de casser des pots de fleur.

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