dimanche 4 novembre 2007

Karaoke



« On passe tous par là.
- J’imagine.
- On voit tous des choses qui nous choquent, on est tous confrontés à nous-mêmes. Ça fait partie de l’expérience, faut voir ça de manière constructive.
- Je vois ça de manière constructive. Je le vis, c’est tout. J’aimerais ça prendre quelques heures pour faire un bilan et me donner des objectifs. Mais tu sais quoi? Je finis ma journée, et je veux soit dormir, soit me vider complètement le cerveau. Je n’ai même pas l’énergie pour faire quoique ce soit de productif, j’ai juste besoin d’évacuer de mon esprit tous les facteurs d’agression externes et internes. J’ai pas l’énergie pour faire du jogging non plus. Anyway, jogger quinze minutes ici revient à fumer un paquet de cigarettes, c’est tellement pollué. »
Kate nous interrompt en déposant des M&M sur mon laptop.
« Happy Halloween! », dit-elle en se versant un verre de vin blanc.
Le temps qu’il faut pour que Rémy replonge dans Top Gun.
« … je la pogne pas, la mode des moustaches, dans les années 80.
- Veux-tu un verre, Gen?
- You bet. C’est l’Halloween, faut trinquer.
- Donc, tu viens avec nous?
- Goddamn it. J’ai pas envie de sortir.
- C’est à huit pas. Vraiment, on sort dehors, le temps de crier «Tout l’monde tout nu» pis on est rendus.
- …
- …
- C’est combien, une bière?
- 5000 Dongs, je pense. L’équivalent de trente cennes la quille.
- Ok, j’embarque. J’espère juste qu’ils ont pas seulement un répertoire vietnamien.
- t’inquiète pas. »
Sous la pluie, Rémy, Kate, Kitty, Janet (ma coloc’ de chambre) et moi nous rendons dans une taverne pleine de néons, à un pas, effectivement, de notre Peace House. Dans une pièce isolée, sur de gros sofas en cuir brun, nous nous éparpillons autour d’une petite télé, tapottons sur le micro, parcourons la gargantuesque liste de tounes à la télécommande.
Sans étonner personne, Rémy casse la glace : « Depuis quelques années, je guide des jeunes Québécois pour un voyage saisonnier New York. Et à tous les ans, quand nous arrivons dans la grande pomme, le chauffeur et moi nous défonçons les cordes vocales à l’intercom sur New York, New York. J’en ai tellement marre que, pour vous montrer mon amour, je vais faire exactement la même chose ce soir. »
Les hauts-parleurs font vibrer le plancher, la serveuse vient claquer la porte pour mieux continuer sa besogne, non sans provoquer nos éclats de rire. « J’ai la pire voix de la terre, faut ben que j’en profite! », ajoute Rémy.
Après sa prestation illuminée s’ensuivent Ghostbusters (pour demeurer dans le thème de l’Halloween), Paint it black, Dancing queen, Come on Eileen, Wannabe (oui oui, des Spice Girls), Africa, Eye of the tiger, Our House, Billy Jane, toutes merveilleusement accompagnées d’une orchestration à base de xylophone, ainsi que d’extraits vidéo montrant des chutes, des jellyfishs et des messieurs asiatiques s’obstinant candidement à côté d’une laveuse. Le SUMMUM du quétaine.
Kitty cherche SA toune avec acharnement. Ne la voyant apparaître à nulle part dans le répertoire de chansons américaine, son alternative consiste à en trouver la version cantonaise. Miraculeusement, parce que c’est Kitty, elle y parvient.
Les sous-titres chinois défilent à l’écran, « Kitty, es-tu vraiment capable de lire ça »? « Pas vraiment, répond-elle lors d’un intermède à la flute, en faite j’improvise un peu. »
Alors que les grosses bières commencent à avoir l’effet escompté et que nous commençons à manquer d’inspiration, notre serveuse interrompt nos performances, armée d’un dictionnaire anglais-vietnamien pour mieux nous foutre dehors (dix heures et demie, c’est l’heure du dodo pour tout le monde). Nous décollons nos membres engourdis des sofas en cuir brun, payons nos consommations et quittons, à son soulagement manifeste.
Janet et moi demeurons quelques minutes sur le perron de la Peace House, pour discuter de conservatisme religieux en Australie (sa terre d’origine), du port du hidjab et d’accomodements raisonnables, gymnastique intellectuelle bien opposée à notre soirée karaoké.
Avant le dodo, juste après le brossage de dents, je lui manifeste le soulagement que j’ai éprouvé à chanter Big in Japan à tue-tête, avec une bonne bière.
« On a tous besoin de décrocher. », répond-elle. « …et de bien dormir, aussi. Bonne nuit. »

Les lumières éteintes, un souvenir me revient brusquement en tête.
Il y a presque un an, j’ai fait un travail de session sur le film « Lost in translation », travail qui suivit chronologiquement de près mon fameux cours de sushis. L’une de mes scènes préférées était celle où les personnages interprétés par Bill Murray et Scarlett Johanson déhambulent dans les rues de Tokyo en pleine nuit, pour une soirée karaoké. Malgré le nombre incalculable de fois où j’ai visionné ce film, je ne m’en suis jamais lassée.
D’accord, ma petite taverne à Saint-Meu-Meu-Wouf-Wouf-des-Viets avec ses néons, ses sofas bruns et ses méduses était beaucoup moins trendy que le fameux bar de Tokyo.
Tout de même.
Je pouvais dormir là-dessus, avec un grand sourire.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Geneviève,
puisque tu sembles te questionner sur la mode des moustaches des années '80, sache que ton dad l'a portée pendant de nombreuses années... Ma mémoire me fait douter que peut-être même au moment de ta conception... je cherche des photos !