Je quitte dans neuf jours.
Je ne peux que difficilement m’imaginer le moment où je vais me lever un matin, et que ça va être aujourd’hui. Ce matin-là il est bientôt. On me dit : as-tu hâte?
Non.
J’ai hâte à mon party de départ, comme on a hâte de recevoir son chèque de paye, de voir sa blonde, de déballer ses cadeaux, d’avoir une réponse.
Je n’ai pas hâte de partir.
Je ne sais pas c’est quoi le sentiment cousin à la hâte qui m’anime en ce moment, mais je suis obligée de le retenir un peu, il provoque chez moi de légères crises d’épilepsie.
Je sors fumer une Djarum pendant mon shift au Passeport, mercredi dernier. Un de mes clients réguliers apprend que je quitte pour six mois, et il me demande : « qu’est-ce que tu fuis, comme ça? »
Je tombe sur le cul.
Fuir? Voyons donc. Je fuis rien. J’adore ma job, mon appart, j’ai des amis extraordinaires et plein de projets écoeurants pour le retour. Personne ne veut ma peau, apparemment. Je suis super bien.
Pourquoi je pars, alors? Simplement parce que mon cœur et ma raison se sont mis d’accord là-dessus, ces deux-là font une sacrée dream team. Je sais que je me mets dans la merde en leur désobéissant. Pas qu’obéir soit nécessairement facile, mais au moins, c’est loin d’être plate.
Papa dit : fais de la visualisation, c’est écoeurant.
J’essaie, dad. Mais quand ça arrive, on dirait que mon cerveau se met à canter vers l’arrière à l’intérieur de mon crâne, mon plexus solaire se twiste, je me mets à shaker, mes bras s’agittent dans plein de sens en même temps, c’est laid, je fais des sons aigus, j’ai l’air super ortho.
… Si au moins je braillais.
Brailler, c’est concret, ça évacue le stress. Ça met un genre de finalité aux émotions fortes. Même pas.
J’ai pleuré une fois dans les derniers mois, c’est en écrivant ma lettre d’intention, celle qui impliquait de mettre des mots –dans la langue de Shakespeare- pour motiver mon départ au Vietnam, visant à convaincre non pas seulement le responsable de l’organisme d’accueil, mais surtout moi-même. Pour me consoler, en milieu de processus d’écriture, on me dit: « Ils veulent juste être sûr que t’es capable d’enligner trois mots un à côté de l’autre, mets-toi pas de pression inutile. » Comme quand on paye par carte de crédit sur Internet, dans le fond, il faut recopier un genre de mot tout croche pour prouver qu’on est en pleine possession de ses moyens. Ça me paraît logique.
Non.
Une lettre de deux pages. Ça a dû me prendre deux ou trois semaines –facile- l’écrire, avec l’aide de mon amie la procrastination. Elle est collante, ces temps-ci, d’ailleurs. Le problème à ce moment-là, c’est que plus je me botte le cul, plus j’en arrache, même si c’est généralement le contraire qui se produit.
Je tourne mes phrases de bord, je tiens mon dictionnaire des synonymes avec mes dents. Je rushe, je rushe, il fait trente degré dehors, quarante dans l’appartement, pause. J’écris ceci (pour moi-même):
« J’haïssais déjà les travaux de fins de sessions, je pensais pas qu’une lettre de deux pages pourrait être encore plus difficile à écrire. Un travail d’analyse implique un risque minime, celui d’avoir une mauvaise note. Au bout du compte, notre opinion sur la question, notre vision des choses, on s’en fout, c’est mort et enterré, demeure un chiffre. Ok, un chiffre qui peut mener à un diplôme.
Parlons-en du diplôme, siiiiii valorisé. Va te perdre à l’autre bout du monde pour tester à quoi il te sert, ton diplôme. Attrappe la malaria, va sentir les morts au barbecue, regarde travailler une famille élargie de l’aube au crépuscule. Va rencontrer cette personne sur deux qui vit avec moins de deux dollars par jour. Surprise, ton diplôme ne t’empêche en rien de te sentir petit en maudit dans tes culottes. C’est curieux, hein, à quel point plus de cinq milliard d’êtres humains SURVIVENT, à des années-lumières de mes travaux de session. Et ont des choses à m’apprendre qui, j’en suis intimement persuadée, feraient pâlir tous les profs que j’ai jamais eus de ma vie.
Je dois me présenter à ces années-lumières-là, en deux pages.
…J’écris quoi?
…Comment je peux décrire une inexplicable soif de liberté, de différence, d’apprentissage, la décoder dans un langage qui dépasse mille frontières culturelles?
…Haha, je me sens twit, complètement tounue. C’est tellement deep ce qu’on me demande d’écrire, y’a pas de mots pour ça. Je peux pas écrire un poème, merde. Donnez-moi une dissertation sur un vieux texte plein d’opium et de métaphores dépressives, là, ça va être beaucoup moins compliqué à analyser que cette toile d’araignée dans laquelle sont tous pognés mes souvenirs, mes rêves, mes aspirations, en interrelation, la moitié d’entre eux tous décomposés avec le temps. À partir de toute cette matière-là, je ne veux pas beurrer trop épais, je veux pas les emmerder les vietnamiens, avec mes histoires de bonnes notes, de jupes carrottées, de remises en question qui puent l’adolescence, de petits voyages dans le sud cutes, je sais pas si celui qui va lire ma lettre enverra jamais ses enfants à l’école, je veux pas mettre du savon à lessive sur les toasts que mes vietnamiens vont manger. »
Je me mets à pleurer, solide. Un sentiment d’impuissance que je n’avais jamais éprouvé. L’impression, plus forte que jamais, qu’aucun langage n’arriverait jamais à exprimer ma pensée. Que ce monde injuste m’avait gâtée pourrie, à un point qui ne m’avait jamais autant frappé que quand mes mots devaient être aussi bien pesés. Depuis, pas une larme.
Je suis passée à travers d’autres émotions. Par exemple, j’ai eu un sal vertige quand l’infirmière de ma clinique voyage s’est mise à jouer dans ses seringues en me parlant des moustiques qui donnent la dengue et des vers qui gigottent dans le ventre avec du poulet mal cuit.
Maintenant, je me sens comme… tsé, quand tu vois quelque chose de très gros qui va te tomber sur le pied, tu le vois presque au ralenti, ça tombe, mais ça fait pas mal tout de suite tout de suite. Pour une fraction de seconde, tu sens seulement l’élan de la douleur, comme une fusée qui décolle. Je me sens drette dans cette fraction de seconde-là. C’est la prise de conscience qui s’en vient. C’est le moment où je vais me dire : fuck, qu’est-ce que j’ai fait.
Je prépare ma civière en même temps que le reste. Grosso modo, ça ressemble à une trousse médicale en plusieurs déclinaisons, un ordinateur qui ne vire pas trop mongole, des photocopies en plusieurs compartiments, du linge à salir, de quoi lire pendant des –interminables- heures de vol. Du filage pour mon MAC, mon Nikon et mon Ipod.
…parlant de mon MAC, merde! Ça pogne pas chez les backpackers, les portables. Dans la version sac à dos d’environ soixante litres, le plus souvent, un petit sac est fait exprès pour se zipper sur le gros. C’est ce petit frère que je vais traîner pendant mes –interminables- heures sur Singapore Airline, c’est donc là que je vais mettre mes bobettes, ma caméra, mon kit médical et… mon laptop. Le plus important, quoi, en cas qu’ils perdent le reste quelque part dans le monde, en Russie ou au Pérou. Ben merde, faut que ça rentre, je veux pas d’un micro-sac de moumoune dans lequel se jouent du coude une pince à épiler pis un jus de légumes. Pour trouver quelque chose qui a de l’allure, faut magasiner en tabarnouche. Quand je demande à un commis un petit sac avec de la place pour un laptop de quinze pouces, on me regarde comme si je voulais une pochette hermétique pour mon caniche. On essaie de me convaincre de tout simplement pas partir avec. Aye, t’es-tu agent de voyage, toi? T’es qui, toi? Tu m’connais-tu, toi? Tu l’sais-tu c’que j’m’en vas faire en Asie, toi? Ta yeule.
J’veux pas amener mon laptop pour être trendy pis mettre des photos de mes nouveaux amis australiens sur Facebook, chéri. Oui c’est lourd, je vais probablement sacrer un peu à mi-chemin, mais je suis assez forte pour me passer d’un bon samaritain porteur de bagages. Je suis une grande fille qui va au gym. Mange de la shnoutte.
…Je veux écrire.
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3 commentaires:
oui, je réalise pleinement à quel point c'est LAME de t'écrire à partir du gmail d'un "toon" de jeux online, mais c'est mon seul gmail.
Entre-temps, je me suis trouvé un nouvel interet: lire tes écrits.
ça va faire drôle de ne plus te voir aux 3 mercredis....
Pablo picassoneruda@hotmail.com
Tu vas beaucoup me manquer mais je vais suivre ton périple ici, je suis déjà accro à ton blog! Je t'aime,
Maïté
T'écris vachement bien ! Vraiment. As-tu trouvé pour ton lappy ? Je crois que ces histoires de sacs et sacoches m'ont fait agoniser un bon trois semaines ! Surtout que dans mon cas, fallait que ça fitte su mon béssyk.
&.
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