Nuit blanche, genre, blanc fluo.
Je suis en train de gosser après les cadenas sur mes zippers, ça sonne, il est cinq heures dix (du matin) et j’avais tout naïvement l’impression qu’il me restait une petite demie-heure pour dormir. C’est beau l’espoir.
Je suis un zombie dans la voiture. Je ne veux plus réfléchir le temps de me rendre à Pierre-Elliott Trudeau, j’essaie de me vider les méninges. Surtout pas penser que j’aurais pu oublier quelque chose, que je vais oublier quelque chose, ou m’endormir sur mon siège du quai d’embarquement et me faire dépouiller pendant mon sommeil par un vendeur de drogue qui va remplacer mes cartes de crédit par des gros sacs de cocaïne et je vais passer le reste de ma vie en prison à manger du pain rassis et à apprendre des chansons grivoises. Nous sommes bien avant l’aube, dehors c’est noir et je suis de mauvaise humeur, c’est bien plus physique que circonstanciel. J’étais déjà épuisée avant de booster au Guru cette dernière nuit à faire du jogging intellectuel dans l’appart - la plus longue et la plus stressante nuit de ma vie.
À l’aéroport, les aurevoirs sont étrangement similaires à ceux d’une fin de soirée. C’est on-ne-peut-plus tant mieux, dans les circonstances. Je suis peu famillière avec les procédures aéroportuaires et j’ai envie qu’on me laisse me démerder avec mon ignorance, au moins ça, sti. C’est niaiseux, ce jour n’est pas seulement le jour que j’attends depuis des mois mais que j’ai attendu toute ma vie, et j’ai l’impression d’avoir passé la nuit à étudier pour un examen de math.
Pendant que je traîne mon p’tit chariot dans la contrée des doines américaines, je fais des sourires niaiseux, je cogne les chevilles du Monsieur qui attend en file avant moi, je m’excuse en bégayant un peu, je sais pus ou ranger mes affaires, y’a des cadenas partout (qui n’ont pas tous la même clé). J’arrive pas à trouver le bon rythme entre : avancer le chariot dans la file, gosser après le cadenas, avancer le chariot, gosser après mes cartes d’embarquement.
Je suis restée deux ans au Passeport même si au début, je servais le vin dans des ballons à cognac (merci de me le rappeler, Mimi :P). Et je me dis : si je suis restée deux ans au Passeport, j’ai quand même des chances de m’en tirer aujourd’hui. Soyons positif.
Soudainement, je ne comprends plus l’anglais. Le stress me fait oublier l’anglais. Et merde. Eh shit, ça je me rappelle au moins, mais les doiniers américains sont bêtes, on dira pas ça devant eux. « Take your shoes off, please ». Je lui shoot quelque chose du genre : « pauvre toi qui doit supporter de sentir les pieds qui puent de tout le monde dans une journée » mais c’était à moitié retenu, disons que y’a une voix dans ma tête qui disait : Geneviève, s’te plait, ta gueule.
Mon embarquement est sensé être à sept heures cinquante-cinq. À sept heures cinquante sept – j’avais pas bougé, et c’était le cas de toute la masse de gens autour de moi -, ça y est, j’ai manqué mon vol. Monsieur, est-ce que je suis en retard.
Monsieur dit : inspire, expire, repose ta question sans pleurer (je pleurais PAS).
Je suis un peu nerveuse. Je veux juste m’assurer que j’ai pas raté ce vol qui avait en faite trois minutes de retard.
Noooooon. Y’a pas problème.
J’embarque dans l’avion, je cherche mon siège, je me fous dans les pattes de tout le monde.
Je m’asseois.
Je me dis ça y est, l’avion va décoller et je vais croupir sous la honte d’asperger tout le monde de vômi.
J’attends que l’avion bouge.
Au bout de quinze minutes environ, il avance lentement. Au bout de seize minutes, je me dis : ça y est, il va décoller. Dix-sept minutes : ça y est, là, maintenant, il va décoller. Dix-huit minutes : précisément à ce moment précis, l’avion va décoller.
…Finalement, l’avion fait comme quarante tours de piste, on sait jamais quand ça va finir, je m’endors. Solide.
Quand j’ouvre les yeux, c’est parce qu’on est en train de prendre de la vitesse.
Et plus on prend de la vitesse, plus le moteur me raisonne dans les oreilles, plus je me sens caler dans mon siège, plus je suis envahie par une joie intense.
Dans les derniers jours, j’avais des grosses crises d’angoisses, je me sentais dans un demi-lieu, pas tout à fait à Montréal, pas tout à fait au Vietnam. Je n’avais pas complètement conscience de ce qui se passait, des procédures, des aurevoirs, j’étais trop fébrile. À 36 000 pieds dans les airs, je suis devenue plus groundée que je ne l’avais été depuis des semaines, et ce, en quelques secondes à peine. Il s’est mis à y avoir des zones de turbulences assez hot.
…et ça m’a fait penser au film, là…
…Capitaine Crochet.
…Pour faire un petit résumé fortuit : Peter Pan (Robin Williams) a quarante-quelque années, deux enfants, une peur maladive des hauteurs, et tout oublié son histoire de compte de fée. C’est devenu un bourreau de travail qui ne gère pas ses priorités. Le film commence alors qu’il traîne toute sa petite famille dans un party de Noël à Londres, évidemment, où les attend une Wendy ratatinée qui, elle, se souvient de tout tout tout. Ils prennent l’avion pour se rendre en sol européen, et là, c’est le bordel. Il y a de sales zones de turbulence, et ça shake. Les cafés se renversent partout, la vaisselle se cogne, et Peter Pan freake out parce qu’il a oublié, chose si simple, qu’en pensant à quelque chose d’heureux, il pouvait résister à ces lois de la gravité discriminatoires. Évidemment, quand ses enfants se font enlever par le Capitaine Crochet, papa Pan va devoir retrouver ses instincts de garçon perdu pour courir à leur secours.
Dans les dernières années, toutes les fois que j’ai pris l’avion, j’ai stressé, solide. Minute que ça brassait un peu, je voyais défiler le fil de ma courte existence. Aujourd’hui, on aurait dit que le ciel était une machine à laver. Et j’avais envie de crier des gros : yoooooohooooo!, comme si je n’avais – jamais – eu peur de quoique ce soit, et que j’avais retrouvé un grand, grand complice : le ciel.
… de manière si inattendue, aujourd’hui, c’est la petite fille de quatre ans qui a pris la parole. Celle qui faisait un paquet d’allers-retours toute seule entre Montréal et Chibougamau, et celle aussi qui était allée espionner ses parents tard le soir... pendant qu’ils regardaient Capitaine Crochet.
Faut croire que la mémoire du vol a fini par me rattrapper, à moi aussi.
Je suis présentement à l’aéroport de San Francisco, dans l’attente d’un transfert pour Singapour. Je l’ai déjà dit, je le répète : je passe ces jours-ci par une vaste gamme d’émotions que je n’avais jamais vécues – que je ne pouvais non plus imaginer. C’est une question de personnalité, de vision, j’imagine. Je suis convaincue qu’un autre Québécois débarquerais ici dans l’attente d’un transfert au Vietnam et dirait : voyons, c’est plein de blancs, c’est pareil comme chez nous sauf que c’est tout en anglais. C’est vrai, c’est pareil comme chez nous et c’est tout en anglais, mais ce petit bout de terre que je frôle ici, quelques heures à peine, il a toute une structure législative, une histoire, une politique qui ne se réflète nullement dans ce lieu exempt du lieu en soi. Cet aéroport est un demi-lieu. Tout le monde est là à défaut de ne pouvoir directement se téléporter à quelque part d’autre.
Grande réalisation, j’en ai toujours, j’en ai peut-être trop, mais grâce à ça on ne me reprochera pas de prendre TROP DE DROGUE : jamais je n’ai été complètement seule, à une distance – physique – aussi importante de chez moi. Bon, on n’est pas rendus au choc culturel, mais c’est déjà un début. À un moment donné tantôt, j’étais dans l’avion, et je me répétais : je suis dans l’avion je suis dans l’avion je suis dans l’avions je suis dans l’avion et à chaque fois que je me le répétais, fuck, je prenais conscience que j’ÉTAIS DANS L’AVION.
Oui, ça sonne mongole un peu écrit comme ça.
Mettons-nous en contexte.
À Chibougamau, quand j’ai grandi, il y avait :
- de la neige au sol 14 mois par année. L’été était presque un mythe.
- des amérindiens, casés dans des écoles anglaises alors on ne jouait pas avec eux.
- pas de noirs. Pas de chinois. Les yeux bridés s’avéraient un magnifique mystère, fallait pas en parler, pour des raisons d’éthique. Je savais pas exactement quelles raisons, je me disais qu’il fallait offenser personne en leur disant qu’ils avaient les yeux bridés (comme s’ils ne le savaient pas déjà).
C’est peut-être pour ça justement que j’avais le kick sur le punk aux yeux en amande dans Capitaine Crochet, Ruffio, l’inaccessible. À bien y penser, avec un nom comme Dante Basco, l’acteur devait être sud-américain, j’ai réalisé ça dans l’avion. Et merde, ça fonctionne même pas.
Revenons-en aux chinois inexistants.
Première journée d’école à Montréal, à douze ans, la première bridée à qui je parle à l’heure du lunch – peut-être même la première bridée à qui je parle de ma vie - me demande c’est quoi ce dessert, avec une sorte de pâte brisée, pis une garniture blonde dedans. C’était une Chinoise Chinoise avec un nom imprononçable. Je tombe sur les fesses. Ben là… c’est de la tarte aux pommes. Pour moi l’histoire, la culture d’une personne qui ne saurait même pas c’est quoi de la tarte aux pommes, c’est aussi impressionnant que l’idée de se faire embrasser par Johnny Depp.
Mais me savoir pertinemment en train de VOLER (chose qui aurait semblé absolument impossible il y a quelques siècles) vers un de ces pays-là où y mangent PAS ÇA, de la tarte aux pommes, c’est un grand pas pour la femme en moi, ça.
Singapore Airlines.
J’ai trois sièges à moi toute seule pour m’évacher comme je veux avec les trois couvertes et les trois oreillers… pendant douze heures de vol. Et c’est pas fini : après, une autre escalle, un autre quelques heures de vol, encore une escalle de neuf heures, puis un vol de quatre heures qui va FINALEMENT m’amener à Hanoi. Les heures changent de place et je m’en fous, ça fait une semaine que je dors pas, dormir en plein milieu d’après-midi ou en pleine nuit… sincèrement, ça fait déjà pas changement de mes habitudes de sommeil.
Y’a plein de films que je peux regarder sur mon écran miniature à moi toute seule. Les Simpson, entre autres.
Dans l’avion, ça ne m’intéresse TELLEMENT pas. Chaque seconde à regarder les rangées, l’aile de l’avion par le hublo de la fenêtre, les hôtesses de l’air asiatiques, est comme la première. Même sans les Simpson, je ne me suis pas emmerdée une fraction de seconde, habitée d’un émerveillement coooontinu.
Voilà, j’écris ces lignes dans l’attente de reprendre l’avion, à Incheon/Seoul (Corée). Escalle inattendue avant Singapour - les transferts sont nombreux, mais ça ne me stresse plus.
C’est tellement PEACE. L’aéroport est vide, tout le monde est zen, il n’est que sept heures du soir ici (mon laptop indique six du matin, heure de Montréal) et le noir du ciel est incroyablement profond.
Je dois partager une chose qui m’enthousiasme à un point surprenant : j’avais –j’ai- tellement hâte de SENTIR l’Asie. Les odeurs, la chaleurs, l’air… On m’a dit à quelques reprises que ça sentait chaud. Même, certains ont trouvé que ça donnait mal au cœur.
Quand je suis débarquée de l’avion en sol asiatique, pour la première fois de ma vie, j’ai pris de grandes bouffées, au cas-où un peu de cet air précieux pouvait se faufiler à travers la passerelle et l’immense façade vitrée de l’aéroport. J’ai eu un petit fume, très, très subtil. Juste assez pour comprendre spécifiquement ce que j’ignorais quand je zigzagais avec mon chariot et mes cadenas aux doines américaines.
Maïté, ton frère m’a dit, au Mad Tea Party : tu es tellement nerveuse déjà que je pense qu’il te restera plus rien de stress une fois rendue sur place.
Ben merde.
J’pense qu’il a raison.
Je TRIPPE.
Je suis même pas rendue pis je TRIPPE. Je pense que c’est cette partie-là que j’avais oubliée.
Je suis encore en forme après un gros vingt heures à regarder partout et à en revenir un peu plus.
Chloé, à qui je dois ma moitié de bol symbolique, est venue me rendre une petite visite en fin de soirée, lundi, pendant que je faisais mes valises. Nous nous sommes alors mis d’accord sur un point : le paradoxe, l’anti-thèse, la contradiction est l’essence du monde, de l’art, du bonheur, même. Nous avons décidé de nous battre contre la cohérence, puisque l’absurde est absolument inévitable, et défier l’inévitable, c’est perdre (dans le contexte présent, cette affirmation peut tout de même être réfutée). Soyons sereins avec le fait qu’une chose et son contraire puissent être vrais et nous faisons un grand pas vers la sérénité, un encore plus grand pas vers la compréhension de l’homme, je crois.
Chloé, je suis à Singapour. Il est deux heures vingt-sept du matin, il est également deux heures vingt-sept à Montréal, mais dans l’autre sens (jeudi, le 25 octobre 2007 – Montréal s’éternise encore au Jour du Passeport, un premier sans moi ). L’embarquement pour Hanoi est à dix heures du matin, je devrais être en train de m’emmerder comme le maudit, mais je ne cherche même pas tant à tuer le temps. Je suis en contemplation méditative depuis (attends, je compte…) 31 heures.
Voici mes paradoxes :
- Je pourrais écrire pendant des heures et les mots me manquent.
- Je suis à l’autre bout du monde et je me sens chez moi.
- Je me sens à la fois incroyablement, magnifiquement seule, et comme faisant partie intégrante de la fourmillière de la planète.
- J’ai l’impression que tout va changer, pour toujours, mais que, à la fois, que tout ce que je vis en on-ne-peut-plus-naturel.
- Je suis très énervée… et très, très, très zen.
- Je suis à la fois épuisée et en pleine forme.
Une chose est encrée dans le sol, à 36 000 pieds dans les airs : la confiance.
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2 commentaires:
honnêtement, ça donne le goût de suivre...
Salut,la grande GEGE un p'tit mot de ton spa...rain!te confirmant qu'il pense a toi !LÀ !là!dans son bureau entre deux rencontres donc que malgré la distance tu es là!la!
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