jeudi 22 novembre 2007

Hommage à Martial



Dans les derniers jours, mes mains ont fait la grève du clavier. La confusion, peut-être. L’émotion, beaucoup. On dirait que les événements ont pris plus de temps que d’habitude avant de se transformer en péripéties (oui, il y a une bonne différence… pour laquelle mes mains sont bien capricieuses).

J’ai pris tout de même le temps d’écrire un hommage à mon oncle Martial.

Mononc (en France, on dit «Tonton», savais-tu ça?) :
Si tu n’as jamais ressenti de remord à m’attacher sur une chaise avec du gros tape gris, tu as tout de même eu pitié du fait que je n’étais pas capable de faire du bicycle à deux roues, à l’âge de neuf ans. Chibougamau c’est petit, tout le monde riait de moi, mais malgré la honte, ça me prenait mes deux petits helpers.
Un soir, t’étais venu souper chez nous, je pense même qu’on mangeait des patates jaunes (maman, quand je reviens, s’te plaît, fais-moi des patates jaunes…), tu m’as dit quelque chose du genre : « On part dans une demie-heure, on revient dans une heure, pis tu vas savoir faire du vélo. » J’ai avalé mes patates dans le mauvais trou, j’ai ri de toi, pis j’ai répondu : « Toute ma vie (de neuf ans) on a essayé de m’enseigner ça. Si personne n’a jamais rien obtenu de moi, je vois pas pourquoi tu ferais mieux. »
T’as mis le petit véhicule dans le gros et tu m’as amenée dans le stationnement de l’Aréna, tsé, là où y’a plein de garnotte (je parlerai pas des tessons de bouteilles). Tu as pris les deux extrémités du vélo, mon cœur s’est mis à battre vite vite vite, t’as donné un swing, tu m’as OBLIGÉE à pédaler. J’ai alors découvert que, oui, j’étais capable de trouver l’équilibre avec seulement deux roues, si ma vie en dépendait.
Maintenant, mononc, je fais du vélo dans des conditions bien différentes de celles de l’aréna de Chibougamau. Et la dernière fois remontait bel et bien dans la ville de mon enfance, que j’ai quittée à l’âge de treize ans.
Des gros camions. De la bouette. Des motos. Des poules. Du foin. Mais pas de stress. Plus de stress, rupture de stock.
J’ai réussi.
J’ai pris mon vélo pour la première fois à sept heures du matin. La deuxième fois, à sept et demie. La troisième fois, à huit et demie. La septième fois, ben c’est différent, c’était à quatre et demie, j’étais très fatiguée, j’avais fait du vélo toute la journée. Mais je suis tout de même allée rouler dans les villages avoisinants, pour la première fois.
Tous mes sens veulent se remémorer ce que j’y ai vu. J’essaie de graver l’image de ces rues cahoteuses, des champs sous la lueur du crépuscule, l’odeur de fumée, la musique techno à tue-tête émergeant des fenêtres des maisons (sans portes; toute la famille assise devant la télé reçoit la boucane des bicyk à gaz). Je veux me rappeler toute ma vie qu’un papa m’a rattrappée de justesse, le temps d’une photographie avec son fils, pour immortaliser le passage exceptionnel d’une étrangère dans les environs. Je veux me souvenir du rat mort à côté des pastèques, du tofu frais et des gros ménés sautillants dans un panier d’osier, au marché. Du nuage de poussière derrière lequel le soleil orange vif se couchait, près du Temple.
C’est l’fun le vélo.
…sauf quand on arrive à l’intersection d’une grande route sans de feu de circulation, à l’heure de pointe, pour se rendre au supermarché. Et qu’on revient en fin soirée, le sol plein de caca de cheval éclairé par les phares des motos qui, on prie fort pour, ne nous écraseront pas. Mais ça, ça n’arrivera plus JAMAIS.
Merci, Martial.

2 commentaires:

& a dit…

J'arrive icitte de nulle part, je connaissais pas. Wow ! Attends, je vais lire un peu plus. Mais tu écris bien.

&.

Anonyme a dit…

Merci Geneviève tu écris vraiment super bien. Je peux tout à fait imaginer tes textes ! Bisous et bonne poursuite de voyage.

ta cousine

P.S. je vais sûrement revenir de lire.