Dans un passe bien lointain...
Mononc Rene a fete sa retraite au chalet de Sparain et Sparaine, au Saguenay. L'un des plus gros party de famille des Tremblay-Gravel que je n'avais pas connu depuis loooongtemps. Peut-etre que je melange plus d'un party a la fois dans mes souvenirs...
Je me souviens vaguement qu'on avait bande les yeux de Mononc pour lui faire couper du bois. C'est une fois qu'on lui a retire le bandeau qu'il a ete a meme de constater qu'on avait foutu ses tits-bas sur la buche. C'etait rigolo.
Mononc Rene avait fete haut la main. Et il etait particulierement comique.
Et voila que, bonne humeur et nez rouge aidant, il se penche vers mes treize ans, pour me dire bien fort:
"Toe, la... T'as vraiment les genes de ta mere!"
Et c'est le moment de ma vie ou j'ai pleinement senti, en toute simplicite, ou etaient mes racines.
Par racines j'entends la ou on commence a pousser. Le point d'ancrage, qui ne determine pas necessairement ce que l'on devient, une plante, une fleur, un arbre, une mauvaise herbe ou une carrotte. Simplement le sol qui recoit la graine. Un point de depart.
Voici un update, un peu vague peut-etre, sur ce qui se passe avec mes racines, ici. Oh boy.
***
Commencons par un episode anodin. Il y a un tcheque roux, avec des cils roux donc ca lui fait des yeux globuleux, et un tout petit nez et un sourire gene, qui occupe la chambre en face de la mienne.
Il a decide de se consacrer aux tablas genre 12 heures par jour, il ne prend des pauses que pour aller manger sur le toit de temps en temps.
Le lecteur doit se dire: ah tiens. De quoi developper une belle complicite. Une histoire d'amour, peut-etre. Que de belles rencontres en voyage.
Non que je veuille induire le lecteur dans l'erreur:
1. J'aime pas particulierement les roux.
2. J'aimais bien les tcheques a l'age de 15 ans parce qu'ils etaient grands et blonds. Celui-la ne compte pas parce qu'il est roux. Et en plus, les tcheques sont bizarres, ils parlent jamais, et quand ils parlent on se sent toujours inconfortables.
3. IL M'ENARVE.
Je l'entends pratiquer. A journee longue. Et j'entre dans un stupide climat competitif qui me gobe ma passion. Je commencais justement a en avoir marre de passer mes journees dans cette chambre glauque de cette ville glauque pour pratiquer mes tap-tap sur la peau de chevre. Et voila que je me fais enterrer par ses tap-taps a lui, tout content d'etre meilleur que moi.
Je decide de faire preuve de bonne volonte et de le complimenter sur ses performances, quand je le croise a l'etage. Tse, se montrer interesse quand on est jaloux. C'est un pas dans la bonne direction.
" Merci, qu'il repond. Mon prof aussi t'a entendue jouer. Il dit que tu joues trop doucement, que tu n'as pas beaucoup de force."
!!!
Dude, tu viens de me tuer.
1. J'AIME PAS LES TCHEQUES. Ils sont pas normaux. Ils ne savent pas communiquer.
2. J'AIME PAS LES ROUX.
3. J'aime pus les tablas.
Eh oui. Je suis dans un pays d'exces. Je vais m'exprimer de maniere excessive.
***
Tous les apres-midis, quand je vais lire mes courriels, il y a au moins 5 personnes qui m'arretent dans les petites ruelles pour me demander: "Madam, where going? Where going Madam". Moi toute timide qui regarde le plancher, ben plancher est une hyperbole disons plutot garnotte, dechets et marde de vache, je dis: "Euhm... Going not very very far, pas besoin d'aide c'est bien gentil." Par un mecanisme bien malsain je commence a en avoir marre de me faire demander where going madam a tous les deux metres. J'envisage de me promener avec une pancarte dans le cou: Madam going not far, tank you. No help needed.
Sinon, quand je sors des ruelles pour marcher sur le bord des ghats, c'est une toute autre histoire. La, on prend son temps pour vous aborder. On s'avere generalement un jeune homme au grand sourire qui s'approche, bien gentiment, et tient a peu pres ces propos, avec une progression quasi-exacte:
" Hey, Madam! Which country? (On oublie les phrases completes, dois-je preciser, pour qui n'aurait pas remarque).
- Canada.
- Vancouver, Toronto, Montreal? (precisement dans cet ordre).
- Montreal.
- "Bonnejouw comma sava?" See, I speak french.
- Fluently, a part de t'ca.
- It's because I have some friends in Montreal.
- Le monde est petit! As-tu parle l'autre gars dix metres en arriere de nous, celui qui jase avec une grande blonde? Lui aussi il vient de me dire, v'la cinq menutes, qu'il a des amis a Montreal. C'est peut-etre les memes.
- First time in Varanasi?
- Yes.
- For how long?
- One more week (une semaine de plus ici... ca va etre loooooong).
- Madam married?
- Non, madam pas married."
No explanation needed. Je veux pas etre pognee pour expliquer que les gens de ma generation font des bebes qui naissent pas avec la benediction de la commission scolaire et pour eux, mariage est un mot appris dans des films de Walt Disney. Mais je suis pas capable de mentir.
Comble: pour repousser les intrus, j'ai meme pas pris l'initiative de m'acheter un faux jonc et faire semblant d'etre trainee dans ce pays bordelique par mon pauvre mari en voyage d'affaire. Mari qui pese 200 livres de muscles et qui aime pas trop qu'on me suive dans la rue, cela va sans dire. Non. Meme pas fait l'effort de m'inventer un male pour la cause.
Maintenant qu'on a fait le tour de la question, mon origine, mon statut, ma langue maternelle, Monsieur-je-viens-te-deranger-dans-les-rues-de-Varanasi-pour-devenir-ton-ami se lance:
"Veux-tu voir mon magasin de soie?"
Aaaaaah comme j'aime ce moment delicieux de la conversation ou il en vient au gros jus du propos. L'instant tant attendu ou je peux dire: NOOOOOOON je veux rieeeeeeen j'aime pas magasiner, j'ai besoin de rien, de rien, de l'eau, du pain et de l'AMOUR!
C'est plus facile de leur dire non quand ils disent directement ce qu'ils veulent.
... sauf quand ils ont 8 ans et qu'ils vendent des bougies ou des cartes postales.
Ils sont des centaines dans cette situation - et ils sont tous beaux. C'est epouvantable devoir travailler a cet age-la, ca vient secouer l'idee qu'on peut se faire de la justice, visceralement. C'est difficile de dire non. Mais on peut pas dire oui tout le temps. Et on se demande si on aide vraiment en achetant. On veut boycotter. On veut aider. On veut s'assurer que l'argent se retrouve dans ses poches. La situation nous depasse. Fuck, il a huit ans.
Un soir je marche sur les ghats pour me rendre a l'hotel. Un petit garcon particulierement mignon me suit avec son panier de chandelles et engage la conversation. Je n'ai pas de change, alors je lui promets que si je le recroise dans les jours a venir, je vais lui acheter une, une petite chandelle.
Le lendemain, comme de fait, Maryse et moi nous levons a 5 heures pour aller voir le soleil se lever sur le Gange, lors d'une promenade en bateau. En montant dans la barque, qui je vois pas.
" Je le reconnais, lui! Que je dis a Maryse. Je lui avais promis que je lui acheterais une chandelle."
Je lui fais signe de monter a bord, que je puisse respecter ma promesse.
" Ils font ben pitie, mais c'est toutes des p'tits crisses, me dit Maryse.
- Non, lui il est gentil. "
Je sors un billet de 10 roupies, sachant que sa marchandise en vaut 5.
Le gamin me regarde avec dedain et se met a m'engueuler:
" Seulement dix roupies? Tu es riche, tu peux payer plus que ca. Combien tu mets? "
Je n'ai eu besoin que d'ouvrir grands les yeux pour qu'il prenne les dix roupies en vitesse et regagne la rive par une autre embarquation.
" ...P'tit crisse.
- Je te l'avais dit."
- Je sais pas quoi penser, Maryse. Je suis biaisee. Je comprends pas ce pays.
- C'est quoi ca?
- Quoi?
- Ca?" dit-elle en me pointant la rive.
Merde.
Merde.
Merde.
" C'est un cadavre de femme.
- Et ce qui se fait manger par un corbeau, c'est...
- C'est son entre-jambes. "
Oui.
A cote, comme sur une carte postale, c'est l'offrande au fleuve, les femmes y prennent leur bain en sari sous la douce lumiere d'un soleil oranger. Personne ne semble remarquer quoique ce soit. Ca fait partie du paysage.
Le batelier rigole, se fout un peu de notre gueule et explique le principe du ghat de cremation, ou ils font bruler les defunts 24 heures sur 24 apres les avoir enveloppes dans de magnifiques linges blancs, pour ensuite jeter leurs cendres dans le Gange et liberer leurs ames. "On ne brule pas tous les corps. Les animaux, les enfants, les saddhus, les lepreux et les femmes enceintes sont directement jetes a l'eau , apres avoir ete attaches a une grosse roche."
Tiens tiens. Ca fait partie de la culture... comme la mort fait partie de la vie, faut croire.
***
J'ai mon cours de tabla. Le dernier, je l'espere, il faudra en convaincre Guru-jee (!!!).
Je suis aussi saturee de cet instrument que de cette ville. Noter que j'ai passe deux jours au lit a manger des advils comme des Ringolos. A essayer de dormir. Malgre les percussions de mon charmant voisin.
Mon professeur vient d'entrer, je mets mon echarpe jaune a l'effigie de Shiva sur mes genoux pour lui faire plaisir, je m'echauffe un peu sur le tambour.
Il n'en faut pas plus pour que L'AUTRE d'a cote se decide a m'enterrer.
Toum toum Ta Ta Toum Toum-ecoute-comment-chuis-bon Ta-Ta-toi-tu-joues comme-une-moumoune. LA PAIIIIIX!
Je glisse un mot a mon professeur.
" Puisque je quitte bientot Varanasi pour Mumbay, je pense que je ce cours sera mon dernier.
- Pourquoi? (TOUJOURS expliquer).
- Parce que... j'ai des commissions a faire.
- Je peux venir a cinq heures.
- Tu viens TOUJOURS a cinq heures. Et a tous les jours je ne fous rien a part aller sur Internet parce que mon cours est a cinq heures. Tous les jours je me dis que je vais avoir le temps de faire autre chose, mais c'est jamais vrai.
- No problem. Je vais venir a cinq heures, alors.
- Non tu comprends pas. Je veux PAS avoir de cours demain (gosh, c'est dont bien difficile).
- Pourquoi?
- Je commence a manquer de concentration. "
Toum toum Ta Ta Toum Toum-ecoute-comment-chuis-bon Ta-Ta-toi-tu-joues comme-une-moumoune, toujours en background.
" D'accord, je comprends. "
Comme ce fut evident.
Tout est evident ici.
" Ton echarpe, mets-la sur tes epaules, me dit Guru-jee.
- Pardon?
- Ne mets pas l'echarpe sur tes jambes. Shiva regarde du haut de l'Himalaya et il n'aime pas ca, c'est vulgaire. Mets-la sur tes epaules."
TU ME NIAISES.
Soudainement, c'est physique.
J'ai une montee de trop-plein.
J'ai envie, TELLEMENT envie de lui dire ceci:
Il y a centaines de milliards d'etoiles dans cette galaxie, et des milliards de galaxies dans l'univers. Peux-tu m'expliquer comment un Dieu assez grand pour creer tout ca peut faire tenir ses fesses sur un sommet de l'Himalaya? Et par le fait-meme, un Dieu qui a choisi de n'informer que l'Inde de sa domination sur le MONDE ENTIER pourrait-il vraiment etre fru contre une Quebecoise, qu'il a tenue dans l'ignorance presque toute sa vie, parce qu'elle met une FOUTUE ECHARPE SUR SES GENOUX?
Mes racines sont ebranlees. En faite, c'est l'idee que je puisse me faire des racines du monde qui sont completement ebranlees. Les reponses ne sont ecrites nulle part.
Et l'Inde me le rappelle a chaque minute.
Mais croire, c'est croire. Et la croyance fait partie des racines de l'homme.
Je regarde les grands yeux lumineux mon professeur, plein de bonne volonte. Je me contente de dire en riant:
" Il fait 30 degres, c'est un peu chaud pour l'echarpe.
- On peut partir la fanne! "
Ben oui. C'est LOGIQUE.
Je pars la fanne, je mets l'echarpe sur mes epaules.
Le respect. Ca aussi, et surtout, ca fait partie de mes racines.