Important: mes chers lecteurs constateront que le prochain billet, tres sournoisement, contiendra progressivement sa petite part de niaiseries. Certains details paraitront a mes chers lecteurs un tantinet impoliticly correct, il est a noter que je me suis bidonnee a ecrire ce qui suit car je garde dans mon jardin secret la recette equilibree entre le reel et la caricature. Il faut s'amuser en lisant sinon... Ben ca vaut pas la peine, allez lire les nouvelles sur cyberpresse. :P
***
C est le premier anniveraire Shanti. Papa Hari est tres fier et decide de faire une grosse fete. Ben la, lui demande Valerie, tu veux une fete pour la petite ou une fete pour les grands? Papa repond: les deux. Pas besoin d en dire plus pour allarmer toute la famille et les amis, qui habitent d ailleurs pratiquement tous dans la meme batisse: les parents, les grands-parents, les freres, les soeurs, les neveux, les cousins rapproches et les neveux eloignes, parfois meme ceux qui sont un melange des deux (!).
Fideles a notre habitude, Maryse et moi arrivons ridiculement en retard pour la fete (avant souper, tout de meme) et sommes malgre tout les premieres arrivees. Hari nous amene chez le tailleur nous approprier nos kurta pajama (complets indiens) que nous avions fait faire specialement pour l occasion, deux jours auparavant.
Ce samedi apres-midi ensoleille-la, au magasin de tissus, c etait la folie furieuse. Des familles entieres s entassaient dans un miniscule commerce ou les marchands empilaient sur le sol des palettes impressionnantes de tissus colores. Meme si je n avais pas l intention au depart d acheter quoique ce soit, j ai ete rapidement seduite par une tunique d un gris argente brodee de noir et d or, accompagnee d un pantalon noir ajuste (le genre qui fait beaucoup de jolis plis sur la cheville). Maryse et Valerie se sont mises a critiquer ouvertement le gris, elles voulaient du rooooose et du bleeeeu et les tissus rooooose et les tissus bleeeeeus s accumulaient devant leurs regards perplexes et c est tout juste si des troupeaux d elephants ne pilaient pas dessus, bref, ca n en finissait plus de finir. Seul Hari approuvait mon gris argente et son etonnante simplicite (peut-etre supportait-il simplement l idee geniale de choisir au plus sacrant).
Maryse a finalement arrete son choix sur une tunique en coton bleu ciel avec des broderies roses et blanches, ainsi que d un pantalon ample de couleur sable - chaque complet est d ailleurs toujours accompagne d un voile agence. Les tissus dans les mains, nous sommes passees chez le vieux tailleur, le genre a qui vous parlez et qui prend des notes, et sur ces notes vous jettez un coup d oeil, et ce coup d oeil fait emerger chez vous un doute, un tres leger doute legerement inconfortable qui vous pousse a vous repeter, et repeter encore, et repeter encore pour etre sur, pour finalement quitter avec la tres legere impression de ne pas vous etre fait tout-a-fait comprendre malgre tout. Vous savez, ce genre de tailleur-la.
Evidemment, deux jours plus tard (soit: le jour J), les tuniques sont trop grandes, les pantalons trop justes et les designs d encolure ont ete interchanges d un complet a l autre - mais tout de meme, rien d irreparable, de quoi sentir qu on fait partie de la fete.
Apres avoir enfile nos costumes, nous attendons que le monde arrive, aupres de Valerie qui nourrit la petite - petite qui sera couchee, biensur, avant que les premieres notes de musique de Bollywood ne se fassent entendre. Les cousines, magnifiques avec leurs habits colores (le roooose et le bleeeeu sont a l honneur, evidemment), leurs longues nattes noires et leur anneau d or dans le nez, arrivent les premieres en laissant croire qu elles y etaient avant tout le monde. Les freres et les soeurs suivent de pres, avec les tits-neeeeuveux; les cousins cutes (TRES cutes) ne se font pas trop attendre; finalement se joignent a nous le rhum and coke et la biere. La musique commence a se faire discrete sur la terrasse apres le crepuscule, simplement pour commencer a eveiller chez tout ce beau monde une envie de danser qui deviendra insoutenable au bout d une heure (mais pas tout de suite, parce qu on est de ce genre d invites qui se font attendre, qui ne dansent jamais les premiers et qui ne trempent le gros orteil sur la piste de danse que lorsqu on l a deja bien echauffee). Un nombre incalculable d amis et de mononcs s entassent dans la cuisine, au salon, sur le balcon. Pas de cadeaux, s il vous plait, avait precise Valerie. Il ne fallut que d une requete aussi simpliste pour que tout le monde arrive les mains pleines. Le sol est recouvert de toutous. Papa n arrete plus de jouer, surtout avec le petit chien mecanique qui spinne sur ses deux pattes arrieres, celui qui fait brailler la petite.
Un immense buffet est installe sur la terrasse et tout le monde se serre allegrement du riz basmati au beurre, du channa masala (delicieux curry epice a base de pois chiches), des legumes aromatises au cumin et au tulmerik ainsi que des papadams pas-trop-epices-pour-une-fois-comme-dirait-Maryse.
La soiree commence sur une note ESSENTIELLE a tout bon party, celle qui en fait necessairement une soiree inoubliable et qui redonne l impression d avoir cinq ans a Noel. C est a dire: quelqu un doit necessairement se rendre ridicule et faire une gaffe. L alcool aidant, ce soir-la, ce fut EVIDEMMENT moi, il faut croire que ma chance a fait une boucle.
Ah, comme c est genant, est-ce que je devrais raconter.
...Je devrais, sinon mes lecteurs vont s imaginer bieeeeeen pire.
Je vais ici remedier a un flashback pour bien mettre en situation.
Dans un pas-lointain-du-tout billet de ce meme blogue, peut-etre n est-ce pas si vague pour mes chers lecteurs, je referais a une promenade a moto dans les montagnes sur la monture de deux tres, tres cutes cousins de Hari.
Erratum no 1; mon biker a moi etait non bien un cousin mais un neveu de Hari, que nous allons appeler anonymement Neveu 1 a partir de maintenant. A 18 ans, Neveu 1 va etre le petard du siecle dans a peu pres cinq ans.
J ai egalement induit mes chers lecteurs dans l erreur pour un autre detail: non que je veuille insinuer une quelconque consanguinite dans la famille, mais il se trouve que pour une raison obscure, la monture de Maryse (ou plutot le CAVALIER qui DIRIGEAIT la monture de Maryse, pour etre plus juste) s avererait etre A LA FOIS un cousin et un neveu a Hari. Appelons-le Couveu 2, et c est particulierement en son intention que je recherche l anonymat. Lui et son sourire Colgate fluo dans le teint basane. Est-ce que je viens d ecrire ca? Faut croire. N ayez crainte, c est tres chaste.
Couveu 2 est un tout petit peu plus vieux que Neveu 2, celui qui n a pas un seul bouton, pas un seul grain de beaute, pas un seul poil de sourcis marginal, et qui gagne partout tous les concours de danse. J en parlerai plus tard, de celui-la. En ce moment, je ne fais qu acumuler les lettres et les chiffres pour donner un peu de defi a mes chers lecteurs, qu ils se rappellent un peu de tout le monde. Ils sont egalement invites a faire reference aux precedents passages pour mieux se faire une idee de la fete, s y sentir invite. Mais pour le moment, revenons-en a ce parent abstrait de Hari, Couveucolgateinthedark number two, parce qu il se trouve que ce soir est un soir tres special pour lui aussi: c est egalement son anniversaire, sans que personne ne le sache. Personne, sauf evidemment Hari, Valerie, Maryse et moi.
Oui, c est CE genre de gaffes que j ai fait. Une petite happy-birthday-gaffe. Gaffe verbale, tout de meme. Ce genre de gaffes qui survient quand on a bu un peu de biere et qu on regarde une paire de grands yeux bruns d anniversaire en forme d amandes, du coup on perd un peu son anglais et certains mots ressemblent a d autres. Pour donner un exemple tout a fait quelconque, dans une phrase qui ressemble a: T es pas jaloux que tout le monde amene des cadeaux pour Shanti mais que personne ne t en amene a toi, des mots comme "gift" et "kiss" puissent etre interchanges. C est tout a fait anodin bien sur, et c est tres facile a manier par la suite. Surtout quand Maryse est pas en train de se peter la face sur le plancher a rire comme une attardee, pour me rappeler le cocasse de ce que je viens de dire.
Voici comment on s en sort: On regarde la biere d'un regard se voulant plein d'assurance et on lui dit: qu'est-ce que tu me fais dire, toi. La grande classe, avec eclats de rires quebecois en background.
..Oui, c est juste ca. Je sais, c est rien pantoute.
Mais ca me cause une mignonne dose de paranoia pour la soiree. Voici pourquoi: J ai l impression terrifiante que mon subconscient s echappe par voie orale, qu il y a maintenant une fusion involotaire entre le je-dis et le je-pense-a-quelque-part-loin-loin-dans-mon-esprit, que c est irrevocable a jamais avec pleonasme.
Ok, non, mieux: j ai juste eu l air un peu twit, ca faisait longtemps que ca m etait pas arrive, et j ai du assimiler une periode de readaptation face au ridicule.
Voila. J ai l impression d etre en sixieme annee, lors d une danse du club disons-non-a-la-drogue. La fois, genre, ou je suis allee vomir dans les toilettes apres avoir gagne le concours de rap.
Comme dirait si bien Jean Leloup: J ai ici de grands moments de lucididididididididite.
A noter par contre: en clavier etranger, j'ai soudainement-maintenant-tout-de-suite recouvert l'usage de la virgule.
Je tiens a preciser une difference assez immense entre les cultures, un contexte qui influence mon paranoia. Cette difference, au-dela d'un conservatisme bien preserve (j'ai deja parle de mariages arranges par ailleurs), est marque par une proximite incroyable entre les membres de la famille, par lequel un homme prend biiiiiien du temps avant de devenir un homme. Autrement dit, la majorite est un chiffre qui fout rien, comme les limites de vitesse. Pour illustrer ce principe, j'ai observe une loi dans cette societe patriarcale: je la baptiserais "gueule-apres-le-plus-jeune". Si l'aine veut des chips et de la liqueur, il envoie ses cadets lui en chercher a toute heure du jour et de la nuit, pas si-vous-plait et pas merci (oui, biensur, j'exagere. La fonction premiere de ce blogue n'est-elle pas de divertir, j'en ai deja parle plus haut). Couveu 2, par exemple, ne peut se permettre de gueuler qu'apres Neveu 1 qui, pauvre de lui, ne possede de droit d'autorite sur personne.
Voila d'ailleurs que, quand tout le monde commence a s'eparpiller sur la terrasse pour danser ou regarder les autres le faire a leur place, Neveu 1 et ses cousins Neveux x-y prennent une quille de biere a demi-pleine de leurs trente doigts, pour aller l'amener en toute subtilite sur le balcon arriere. "Gen, ste-plait, barre la porte derriere nous et fais le guet." Promis, je reponds en m'etouffant a peine. Et me voici aux aguets, oulala, quel stress, quelle adrenaline. Et si, et s'ils se faisaient prendre a boire les deux-tiers d'une gorgee de biere en cachette dans un party de famille, quel desastre, j'ai la toute une responsabilite. Au bout de quelques minutes ils grattent doucement la porte que j'ouvre a leur ivresse tout-a-fait genante. "Je t'en supplie, me demande un Neveu 1 titubant dans le couloir, dis pas a Mononc Hari que j'ai bu ce soir.
- Honnetement, je pense qu'il s'en fout.
- Dis-lui pas quand meme.
- Promis jure crache-comme-les-indiens. Tu sens-tu quelque chose, au moins? T'es-tu feeling un peu?
- Non, c'est sur que non, faudrait surtout pas.
- C'est quoi l'interet d'abord - t'es pas majeur, toi, anyway?
- Chuis majeur, mais j'ai du respect pour mes aines. "
Bien dit. A ton age, j'avais deja la tache delicate rendre les autres saouls.
Donc, pour la suite, apres un petit moment a m'etre foutue la tete dans les craques du plancher, culpabilisee a mort a l'idee d'avoir irrite les pauvres oreilles vierges d'un jeune homme deja martyrise par l'anonymat de son jour de naissance, j'aime les longues phraaaaaaases, je me laisse interpeller doucement par ces tounes de Bollywood que je connais pratiquement par coeur, ces tounes que j'ai entendu dans le char de Rishikesh a Okhimat et d'Okhimat a Rishikesh, et de Rishikesh a la montagne, et de la montagne a Delhi a Agra a Nahan a Solan aller-retour. Ces tounes qui jouent dans les rues, et que les beaux gars qui portent la boucle d'oreille du cote gauche et des jeans pre-salis utilisent comme sonnerie de cellulaire.
Ces tounes-la, les djs les aiment tellement qu'ils les arretent en plein milieu, pour mieux les faire rejouer 10-12 fois dans la veillee. Mais elles ne sont malheureusement pas toutes necessairement entrainantes. L'une des plus populaires ce soir-la me fait d'ailleurs decrocher la machoire assez solide: la melodie est creee a base de poulet synthetique. Oui oui. Cot cot cot, ca amuse vraiment tout le monde. En loop. En boomerang. Et se succede une fois de temps en temps ce fameux classique: braaaaaziiiiiiiiiil, nana nana nana na naaaaaaa, nana nana nana na naaaaaaa, nana nana nana na naaaaaaa, braaaaaaziiiiiiiiiiiiiiil, braaaaaaziiiiiiiil, BRAAAAAAZIIIIIIIIIIIIIIIL... Pour celle-la je suis foutue, comme je le suis pour Shania Twain, pour la chanson-theme de Passe-Partout, pour My heart will go on, foutue d'une tache indelibile sur le disque de la semaine.
Pas inspirant, moi qui commence a avoir un peu la bougeotte, moi qui me sens finalement prete a purger ma honte par la danse. Oui oui, je suis ENCORE stickee sur cette honte-la.
Et voila Neveu 2, celui qui n a pas un seul bouton, pas un seul grain de beaute, pas un seul poil de sourcis marginal, et qui gagne partout tous les concours de danse, celui-la s'avance vers moi avec une demarche au ralenti et le vent dans les cheveux, il me tend la main et dit: "tu danses, bebe?"
Et moi de repondre: "Dude... Je l'aime pas, la toune de poulet."
Il rit. Je ris. Nous rions. Et j'accepte d'aller danser sur cette absurdite de chicken-song en le temps de le dire. De toute facon, je sais bien que le dj va la couper a mi-chemin.
Et on danse. Et on danse. Et on danse. Et ca chante les paroles quand il y en a. Et les mononcs sont saouls. Et les enfants nous lachent pas, on a des mini-groupies qui veulent faire les mini-toupies quand on les tient par la main. Et les femmes mariees sont des Mona Lisa, immobiles et patientes sur leurs chaises en plastique, pendant que leurs maris veulent toute l'attention sur la piste de danse et font des concours de c'est-qui-qui-imite-le-mieux-la-texture-d'un-spaghetti-al-dente. Et on se passe le batte.
- Veux-tu ben me dire pourquoi tu regardes tout le temps le plancher? Me demande Neveu 2.
- La gene, ou plutot la HONTE, j'imagine.
- Arrete-moi ca tout de suite. Ou tu vas comme ca?
- Me chercher un verre d'eau.
- T'es pas fatiguee toujours?
- T'es-tu malade. Pas le moins du monde.
- Tu reviens, la, hein?
- Ouiouiouiouioui.
Mais d'ou ils tiennent toute cette energie, je comprends pas. Ca ne perd meme pas son entrain apres avoir entendu les memes tounes trente-deux fois . Faut que je respire.
...Et voila Neveu 2 qui vient me chercher dans la cuisine.
- Tu fais quoi, la?
- Je bois mon verre d'eau.
- Viens danser.
Et les enfants qui font de l'ombre en arriere du beau grand brun avec leurs yeux de brebis. Viens danser, viens danser.
Ok d'abord.
Ca recommence pour une bonne heure.
- Arrete de regarder le maudit plancher!
Ok, ok, j'essaie, monsieur la-star-de-Bollywood.
Il est seulement onze heures et tout le monde est mouru, a sue chaque goutte de biere. Seules demeurent les vapeurs d'alcool qui ont legerement monte au cerveau des vrais hommes, tse la, ceux qui peuvent boire avec toute la benediction du clan.
L'un d'eux, pour quelque motif tout-a-fait irrationnel, dit a Valerie qu'elle a pris du poid. La jeune maman pleine d'energie (dont la silhouette, soit dit en passant, n'est pas du tout sujete a un tel commentaire) lui repond dans un eclat de rire:
- C'est l'alcool qui te fait deformer la vision, espece de bedonnant. Fais attention a ce que tu dis, tu sauras que dans cette maison, j'ai du pouvoir.
Me remplit-on mon verre avec decalage en plein sur la kurta, juste avant le dessert.
Mais alors la quel dessert - une sorte de pudding a base de fruits confits aromatises a la cardamone, servi bien tiede. Au-dela du dessert surtout, la maniere de le servir: l'un des aines s'avance et sert tout le monde a la cuillere comme maman nourrit bebe, d'abord Hari, puis Valerie, Maryse et enfin moi. Au Quebec, pour une question de panique generale face a l'idee de propager des germes, ce concept aurait ete impensable. Ici pourtant, il s'agissait d'une merveilleuse image de respect et de benediction, le summun du partage par un plat de fete. Un geste aussi simple a su resumer parfaitement mon sentiment pour l'Inde: anti-sterile, anti-pasteurise, anti-purell, l'humain dans son etat le plus pur, dans toute la chaleur et l'accueil dont il est capable. C'est tout ce qu'on m'a offert depuis que j'ai mis les pieds ici, et c'est ce qui m'a le plus appris.
Je manque de mots pour exprimer a quel point cette experience de party fut memorable. Un point fort dans mon voyage et dans ma vie. Vivre une fete de famille plonge a la fois dans le quotidien de ses hotes, mais permet egalement de recevoir une dose condensee de leur joie de vivre - en ce pays, elle me semble particulierement contagieuse. Les coutumes, voir les lois internes qui peuvent parfois sembler si farfelues a des yeux etrangers, font partie d'un etrange equilibre duquel on fait presque soi-meme partie au bout d'un moment. Comme de magnifiques parures ne font pas la beaute d'une femme, les multiples traditions de l'Inde n'en font pas necessairement l'attrait. Il y a meme quelque chose au-dela; pour le comprendre, il faut a la fois le voir, le sentir, le gouter, le toucher, l'ecouter; alors seulement l'Inde reussit-elle a eveiller chez soi une sorte de sixieme sens.
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