lundi 3 décembre 2007
le chat de l'aiguille
*NB: Le prochain billet est un peu sarcastique, faut pas tout prendre au pied de la lettre... sinon c'est plate.
***
« Non? Personne ne peut réciter le verbe être au passé? »
Gros silence.
Je commence à écrire les déclinaisons des verbes sur le tableau blanc, marqué pour toujours des leçons antérieures, et voilà que le pauvre marqueur que j’aggrippe de ma main moîte rend l’âme. La sueur me coule sur le front, je ris nerveusement en attendant qu’un ange vienne à mon secours.
Intervention divine, une gentille Britannique assise dans la première rangée part en quête d’un autre crayon. Becky est en faite le professeur de qui je prends la relève; suite à mes menaces de suicide, elle a gentiment accepté d’assister à mon premier cours.
Pendant qu’elle travaille à sauver mon honneur, je meuble une conversation idiote comme si je savais pertinemment ce que j’étais venue enseigner. La préparation de ce premier cours ne m’aurait pas mérité le titre de prof du mois, car je n’avais aucune idée du niveau général de ces étudiants – d’âge adulte – ni de la structure du cours offert gratuitement par l’organisme pour lequel j’étais bénévole. J’appris plus tard que celle-ci s’organisait un peu comme une course à relais; je n’avais qu’à ne pas enseigner la même chose que le prof d’avant - prof qui pût bien être Russe, Danois ou Japonais, et baragouiner l’anglais aussi-peu-près-euh-ment que moi. L’art de l’à-peu-près est d’ailleurs très bien maîtrisé dans cet établissement. J’acquière des connaissances en la matière à chaque jour.
Quoiqu’il en soit, j’avais eu un sal mal de cœur toute la journée, ici tout le monde s’échange les germes, s’il y en a un de malade, on se passe la poque. J’avais plus ou moins réussi à récupérer durant l’après-midi, je faisais plein de cauchemars dans lesquels j’enseignais l’anglais à grands coups de «steak», «toaster» pis «yes sir». Adrénaline oblige, j’affronte le cauchemard.
Becky revient avec une généreuse poignée de marqueurs, comme pour me donner une tappe dans le dos, avant de s’éclipser pour une raison que je n’ai pas saisie (à cause de la panique).
Je me remets au verbe to be.
J’ai des flashbacks de ma première année au Pensionnat du Saint-Nom-de-Marie, je me dis c’est peut-être la rétrospective de ma vie qui commence, avec l’épisode de la Chinoise et la tarte aux pommes, la fois où j’ai failli m’évanouir en classe en réalisant que j’avais manqué un premier cours de chant, et ce premier cours d’anglais, qui aurait tout aussi bien pu être un cours d’Arabe que j’aurais pas fait la différence. J’avais toujours peur de couler un cours, de me faire chicaner par quelqu’un. Ici je n’ai pas peur de ni l’un ni l’autre, je porte le poids de mon ridicule sur mes seules épaules.
Je parle en rond, j’essaie de meubler les minutes en épuisant mon sens du tac-au-tac, donnant autant de gaz que possible à l’inspiration.
Deuxième intervention divine : Tuan interrompt le cours pour venir s’asseoir à la place délaissée par Becky. Il tâche de se faire le plus discret possible, mais quand il entre dans la pièce, il y a une aura fluo autour de lui. Il paraît, par ailleurs, que le stress est à la base un mécanisme qui assure la survie de l’individu en situation de danger; par conséquent il augmente le rythme cardiaque, fait dilater les pupilles et les tympans (mettons) – j’aurais pas pu le manquer, finalement.
Tuan est le gentil bénévole vietnamien dont la tâche est de me faire pratiquer la langue de Monocle’Ho et de me traîner un peu partout en ville. Mon supporteur en titre est venu porter un regard bienveillant sur ma classe, parce que c’est le plus fin Vietnamien du monde. Je regarde –très discrètement- ma montre, jusqu’à pouvoir dire, avec un soulagement contenu au mieux de mon pouvoir : « Je pense que c’est assez pour aujourd’hui. »
Aucune réaction.
« Vous avez travaillé trèèèès fort, donc, pas de devoir ce soir. »
Personne ne bouge.
C’est fiiiiiiiniiiiiii, pitié, allez vous-en.
Tuan n’a qu’à dire trois mots pour que tout le monde disparaisse comme des mouches. Je suis spécialiste dans l’art de me faire sauver la vie, ici.
Pourquoi je me suis engagée là-dedans?
Le sentiment d’utilité demeure pour moi un besoin, issu peut-être d’une culture de performance, mais qui s’avère toujours persistant dans les présentes conditions. Il se trouve que j’ai toute une montagne à escalader avant d’en arriver à ça, l’utilité. Sur la route vers l’or, effectuer une tâche concrète s’avère déjà un début – ce que l’enseignement, comme nouvelle activité bénévole, pourrait constituer, me suis-je dit. Je m’attendais à prendre un funiculaire, disons que j’ai juste recommencé à grimper la montagne par un versant moins apic. Satisfaction personnelle, tu repasseras dans un mois, s’il te plaît… Parce que si je ne maîtrise pas parfaitement l’anglais, et pas du tout le vietnamien, il y a un troisième langage que je dois absolument apprendre en ce pays. Je commence à peine à en saisir quelques bribes.
Chaque fois que je me présente au Friendship Village, c’est-à-dire l’orphelinat dans lequel vivent des enfants (et des moins enfants) affectés par l’Agent Orange, non seulement je ne suis jamais attendue, mais je n’ai jamais de tâche assignée. J’atterris au beau milieu d’une classe de mon choix (elles sont toutes bien différentes), et j’entre dans la danse. Du moins j’essaie.
Un jour je me présente pour la première fois dans l’une d’elles, dont la moyenne d’âge doit se situer autour de dix ans. Il est environ huit heures trente du matin, la lumière dans la pièce est magnifique, et le silence, criard. L’enseignante, très belle femme probablement dans la mi-vingtaine, prend une élève en particulier, l’enroule dans le Saran Wrap avant de la traîner dehors et de l’asseoir sur un cabaret. Mais qu’est-ce qu’elle va lui faire, que je me dis, mais qu’est-ce qu’elle va lui faire.
Eh bien, elle sort une paire de ciseaux, et se met à lui couper les cheveux.
Pendant ce temps, la douzaine d’autres élèves, assis autour d’une grande table rectangulaire, ne fait absolument rien. Je me casse les méninges pour les distraire au mieux de mon possible. Je passe de l’un à l’autre et je baragouine «c’est quoi ton nom» avec un accent qui saigne du nez.
J’interromps l’un d’entre eux, tout petit sur sa chaise roulante, en pleine séance de gribouillage (par gribouillage, j’entends vraiment : art très, très abstrait). Sans un mot, il saisit subitement mon poignet de l’une des minuscules choses qui tenait son crayon, découvrant l’alternative bien plus amusante de barbouiller par l’intermédiaire de moi. Il est en contemplation continue devant les traces que je laisse sous sa direction, et moi, j’entre dans une quasi-méditation. Ce sont les pleurs d’un autre enfant dans la classe qui me réveillent subitement; son camarade venait de le frapper dans le dos (ça semble être une habitude très répendue ici). Attention : ces pleurs-là, ce sont des pleurs qui méritent des gros câlins, des bonbons, des fleurs, des cartes de hockey. Le visage de cet enfant, qui doit m’arriver entre le genou et la hanche, s’avère probablement le plus expressif qu’il ne m’est jamais été donné de voir. Je ne peux pas dire grand chose pour me rendre utile, alors je le chatouille. Aussitôt que mes mains deviennent des araignées dans son tout petit cou, il se met à rire comme s’il n’y avait jamais eu bobo, et ses yeux rejoignent ses lèvres par les extrémités. La prof revient avec la petite fille, qui essuie la galaxie de cheveux qui ont survécu au Saran Wrap. Tout le monde applaudit, et c’est le tour d’un autre, bien malgré lui.
La tension monte. Trois élèves se mettent à assommer celui dont les yeux se dirigent dans des directions opposées, au beau milieu des légos. Je me rendrai bien compte, au fil de la journée, que c’est toujours de sa faute à lui, peu importe bien quoi. Il n’a pas tout à fait l’air sur la même planète que les autres – en faite, justement, chacun est sur une planète différente. Le pauvre avance au ralenti, parle au ralenti, regarde au ralenti – pour ce crime, il en mange toute une, à matin, à midi, après-midi. Je suis pétrifiée, j’ignore ce qui se gueule dans cette classe en Vietnamien, je ne suis capable de retenir aucun geste.
Il y a un grand maigre au fond de la classe qui ne dit rien et qui ne fait rien depuis des heures. Pas moyen de le faire bouger ni de le faire sourire. La planète prof parle au cellulaire, la discussion est passionnante. Aussitôt qu’elle raccroche, quelques directions millitaires, on tasse tables et chaises aux extrémités de la pièce, on s’aligne en deux belles rangées bien droites. Gossage avec le radio-cassette, c’est l’heure de l’exercice : Madame la dj fait jouer environ quatre fois la même toune pop (du genre qui jouait au mini-putt de Chibougamau, au début des années 90), tout le monde se brasse les foufounes. Encore une fois, le grand maigre qui ne sourit pas et ne parle pas trouve un moyen de s’asseoir dans un coin. Je fais encore équipe avec les toutes petites mains de mon ami en chaise roulante pour le faire danser un peu, quand même. Olé. Pour terminer l’après-midi en beauté, on vide trois gros bacs de légos sur la table, et que s’amusent ceux dont la dextérité est suffisante.
« Chante une chanson », me demande le professeur, deux ans plus tard, quand elle remarque ma présence.
Euh. Minute…
On me regarde avec des yeux ronds. Ok d’abord : « Je ne veux pas travailler, je ne veux pas déjeuner, je veux seulement l’ouuuuuublier, et puis, je fume. »
…ça me vient comme ça. Je peux bien m’amuser un peu; il ne faut surtout pas compter sur le pouvoir des mots, en ces lieux.
Ça, la classe de broderie me l’a bien appris.
Il se trouve que des adolescents handicappés par l’Agent Orange s’attablent ici devant de grandes toiles tendues comme la surface d’un tambour, et trait par trait, fil par fil, ils donnent texture à des dessins typiques qui serviront de petits napperons, prendront la forme d’une toile. Ça a l’air très facile, comme ça. Minute.
Commençons par rentrer le fil dans le chat de l’aiguille. Non, pas un fil. Deux fils.
On fout de la bave partout à essayer d’éfiler ça, on chiale pas, on est une grande fille. Deux minutes. Cinq minutes. Quinze minutes. Mon chat a les poils hérissés, mais il ne veut pas laisser rentrer les fils. Un jeune homme m’enlève gentiment l’attirail des mains avant qu’elles ne deviennent des passoires, et se donne pour mission de m’enseigner the méthode. En un tournemain, il fait danser l’aiguille dessus et dessous la toile, produisant un agréable son percutif. Sa méthode d’enseignement est très efficace, pour une fois, j’ai réellement l’impression de communiquer au complet, sans ambiguité. Dirige l’aiguille sur le dessus de la toile avec ta main gauche, rattrappe-la dessous avec ta droite, prévois ta lancée pour la refaire émerger au bon endroit, et recommence. Non pas comme ça. Calcule un peu l’angle, arrondis tes courbes, sature la surface, lisse les traits. Tout est question d’harmonie.
« C’est quoi ton nom? », je lui demande.
Désolé, je ne peux répondre à cette question, je suis sourd-muet. Je pense que tu peux te débrouiller seule, maintenant. Si ça ne te dérange pas, je vais aller faire un tour au fond de la classe, rendre visite à mon amie, la p’tit cute.
Je tente de m’attarder seule à ce superbe travail de précision, non sans lever les yeux pour le voir discuter avec une magnifique adolescente. Tous deux poussent de temps à autres des cris d’enthousiasme, qu’ils n’entendent ni l’un ni l’autre.
Je reviens m’atabler à côté de cette même jeune beauté le lendemain. Avec un sourire généreux, elle prend finalement l’initiative de rentrer le fil dans le chat pour moi.
Avec de grands yeux expressifs : mais qu’est-ce qui est arrivé à ta main?
Je me suis réveillée avec une famille de piqûres, j’imagine qu’il y a des puces dans mon lit…
Tu n’es pas mal du tout, en broderie!
Je fais mon possible… c’est ton ami, là, qui m’a appris - j’pense qu’il te trouve de son goût, d’ailleurs.
Lui? Naaaaah…
Elle rougit.
Soudainement, un élan, je me sens privilégiée d’être dans cette classe. Privilégiée d’apprendre à parler sans mots, d’avoir des échanges si purs bien que si brefs.
Privilégiée mais toujours pas utile.
C’est ici qu’entre en jeu cette maudite confusion. Elle veut tester mes crampons, faut croire, en revenant à l’improviste comme la grippe aviaire. Elle doit se dire que sans elle, le voyage doit manquer de piquant, pourquoi ne pas me servir une soupe relevée à base de doute qui brûle la gorge. Pourquoi ne pas tailler mes journées en forme de point d’interrogation, une fois de temps en temps.
Elle danse une valse comme si elle jouait au hockey. Elle fait des sals coups de cochons, mais parvient à se faire salement respecter. Elle peut surtout m’assurer qu’aucune bonne journée n’a le pouvoir de graver dans mon esprit un sens –unique-, ni à mon voyage, ni au Vietnam. Surtout pas au monde, come on. Et c’est de là que tient sa force.
Elle est un peu bitch, en faite.
Je reviens une troisième fois dans la classe de broderie, il fait chaud et j’en ai marre de porter ces foutus cotons ouattés au nom de la sobriété. Je m’asseois n’importe où, à côté de ma mauvaise humeur du jour, et j’essaie de rentrer les deux foutus fils dans le chaaaaat.
Je me mets à retrait, pour pas qu’on m’aide. Je vais bien FINIR par y arriver, torrieux.
Une minute.
Deux minutes.
Cinq minutes.
On se caaaaalme.
Vingt minutes.
On rit de moi à gorge déployée, je me sens comme mon chien Mafalda quand on lui met une guirlande de Noël dans le cou, et j’ai encore plus chaud que quand je suis rentrée. J’aimerais beaucoup lire la biographie de celui qui a dit le premier: « le ridicule ne tue pas ». Soit ce type a survécu à une honte épouvantable, soit il s’est simplement amusé toute sa vie à baver le monde avec sa niaiserie de phrase. C’est CLAIR que le ridicule tue pas. Y’a PLEIN de choses qui tuent pas pis qui sont PAS L’FUN. Une bonne grippe d’homme, par exemple. Ou ne pas être capable de faire un casse-tête (à court ou à long-terme).
Une demie-heure à gosser.
Je commence à sentir tout ce que j’ai d’impatience en moi se condenser, suer par tous les pores de ma peau, créer autour de moi une aura bourgogne, épaissir le sang dans mes veines comme du lait concentré (les Vietnamiens mettent ça dans leur café… c’est pas mauvais, mais faudrait que j’arrête d’en abuser, ça doit nécessairement augmenter mon rythme cardiaque).
C’est super la broderie. Mais il y a des journées où, franchement, ça M’ÉCOEURE.
Et l’idée que certaines personnes ne feront que ça toute leur vie… Ce n’est pas pour moi un joli poème coiffé d’un chapeau conique. Pareil pour les légos, ou le coloriage. Je me demande c’est quoi l’avenir.
« C’est beau que tu ailles faire de l’aide humanitaire ». Euh, pardon? J’aide qui, ici? C’est moi qui la reçoit, l’aide humanitaire. Je ne fais qu’apprendre à vivre.
Je ne crois pas laisser de traces derrière moi – non pardon, laisser des traces, c’est très orgueilleux comme concept, ça fait très « Marilyn Monroe a pilé sur ce trottoir pas sec ». Disons plutôt : est-ce que je vais repartir avec toutes ces images, tous ces apprentissages, sans avoir eu la satisfaction d’un échange? Est-ce que j’aurai fait quelque chose de bien à ces élèves que je serais sensée aider, autant qu’ils auront pu le faire pour moi? La confusion porte à bout de bras une pancarte d’encouragement pour le camp du : «NON».
Et j’ai l’impression que c’est pas juste.
C’est pas JUSTE.
De QUOI tu parles, aide humanitaire. Je suis la seule ici à ne pas être capable de rentrer un tabarnouche de fil dans une tabarnouche d’aiguille.
J’en ignore tellement sur ce qui se passe ici. Et j’ai bien peur que quand je quitterai ce pays, j’en ignorerai bien davantage.
J’ai une envie vicérale de me téléporter de cette classe à mon appartement, d’enterrer toutes ces pensées sous de la musique forte, de danser dans mon salon, me rendre à pieds au cinéma du Quartier Latin, voir un film en Français s’il-vous-plait, m’effourer sur mon futon et allumer ma shisha, prendre un bain, sécher mes cheveux au SÉCHOIR et porter des robes à bretelles, me cuisiner un panini pesto-brie-végépâté, avec un shake soya-bleuets. Plein les REINS du riz blanc, du café en sachet et des toasts pinuts-marmelade. Plein les chakras de faire un inventaire de ma vision du monde.
La confusion est en crise d’hyperventilation.
Je prends une grande respiration.
Ça sent le Vietnam… la fumée, les palmiers, le savon à la rose.
Les aiguilles font un magnifique bruit de tam tam autour de moi.
C’est pas toujours facile, je me dis. Alors j’essaie de penser à quelque chose de drôle. Moi, en l’occurrence.
…je ne me suis jamais attendue à ce que ça soit évident. Voyons dont.
Et à ce moment PRÉCIS, ULTIME intervention divine.
…
Je l’ai eu.
J’ai rentré les deux fils dans le chat de l’aiguille.
Ce langage que la vie m’enseigne, il s’appelle patience.
… En attendant, ben…
… essayons d’enseigner l’anglais.
jeudi 22 novembre 2007
Hommage à Martial
Dans les derniers jours, mes mains ont fait la grève du clavier. La confusion, peut-être. L’émotion, beaucoup. On dirait que les événements ont pris plus de temps que d’habitude avant de se transformer en péripéties (oui, il y a une bonne différence… pour laquelle mes mains sont bien capricieuses).
J’ai pris tout de même le temps d’écrire un hommage à mon oncle Martial.
Mononc (en France, on dit «Tonton», savais-tu ça?) :
Si tu n’as jamais ressenti de remord à m’attacher sur une chaise avec du gros tape gris, tu as tout de même eu pitié du fait que je n’étais pas capable de faire du bicycle à deux roues, à l’âge de neuf ans. Chibougamau c’est petit, tout le monde riait de moi, mais malgré la honte, ça me prenait mes deux petits helpers.
Un soir, t’étais venu souper chez nous, je pense même qu’on mangeait des patates jaunes (maman, quand je reviens, s’te plaît, fais-moi des patates jaunes…), tu m’as dit quelque chose du genre : « On part dans une demie-heure, on revient dans une heure, pis tu vas savoir faire du vélo. » J’ai avalé mes patates dans le mauvais trou, j’ai ri de toi, pis j’ai répondu : « Toute ma vie (de neuf ans) on a essayé de m’enseigner ça. Si personne n’a jamais rien obtenu de moi, je vois pas pourquoi tu ferais mieux. »
T’as mis le petit véhicule dans le gros et tu m’as amenée dans le stationnement de l’Aréna, tsé, là où y’a plein de garnotte (je parlerai pas des tessons de bouteilles). Tu as pris les deux extrémités du vélo, mon cœur s’est mis à battre vite vite vite, t’as donné un swing, tu m’as OBLIGÉE à pédaler. J’ai alors découvert que, oui, j’étais capable de trouver l’équilibre avec seulement deux roues, si ma vie en dépendait.
Maintenant, mononc, je fais du vélo dans des conditions bien différentes de celles de l’aréna de Chibougamau. Et la dernière fois remontait bel et bien dans la ville de mon enfance, que j’ai quittée à l’âge de treize ans.
Des gros camions. De la bouette. Des motos. Des poules. Du foin. Mais pas de stress. Plus de stress, rupture de stock.
J’ai réussi.
J’ai pris mon vélo pour la première fois à sept heures du matin. La deuxième fois, à sept et demie. La troisième fois, à huit et demie. La septième fois, ben c’est différent, c’était à quatre et demie, j’étais très fatiguée, j’avais fait du vélo toute la journée. Mais je suis tout de même allée rouler dans les villages avoisinants, pour la première fois.
Tous mes sens veulent se remémorer ce que j’y ai vu. J’essaie de graver l’image de ces rues cahoteuses, des champs sous la lueur du crépuscule, l’odeur de fumée, la musique techno à tue-tête émergeant des fenêtres des maisons (sans portes; toute la famille assise devant la télé reçoit la boucane des bicyk à gaz). Je veux me rappeler toute ma vie qu’un papa m’a rattrappée de justesse, le temps d’une photographie avec son fils, pour immortaliser le passage exceptionnel d’une étrangère dans les environs. Je veux me souvenir du rat mort à côté des pastèques, du tofu frais et des gros ménés sautillants dans un panier d’osier, au marché. Du nuage de poussière derrière lequel le soleil orange vif se couchait, près du Temple.
C’est l’fun le vélo.
…sauf quand on arrive à l’intersection d’une grande route sans de feu de circulation, à l’heure de pointe, pour se rendre au supermarché. Et qu’on revient en fin soirée, le sol plein de caca de cheval éclairé par les phares des motos qui, on prie fort pour, ne nous écraseront pas. Mais ça, ça n’arrivera plus JAMAIS.
Merci, Martial.
dimanche 4 novembre 2007
Karaoke
« On passe tous par là.
- J’imagine.
- On voit tous des choses qui nous choquent, on est tous confrontés à nous-mêmes. Ça fait partie de l’expérience, faut voir ça de manière constructive.
- Je vois ça de manière constructive. Je le vis, c’est tout. J’aimerais ça prendre quelques heures pour faire un bilan et me donner des objectifs. Mais tu sais quoi? Je finis ma journée, et je veux soit dormir, soit me vider complètement le cerveau. Je n’ai même pas l’énergie pour faire quoique ce soit de productif, j’ai juste besoin d’évacuer de mon esprit tous les facteurs d’agression externes et internes. J’ai pas l’énergie pour faire du jogging non plus. Anyway, jogger quinze minutes ici revient à fumer un paquet de cigarettes, c’est tellement pollué. »
Kate nous interrompt en déposant des M&M sur mon laptop.
« Happy Halloween! », dit-elle en se versant un verre de vin blanc.
Le temps qu’il faut pour que Rémy replonge dans Top Gun.
« … je la pogne pas, la mode des moustaches, dans les années 80.
- Veux-tu un verre, Gen?
- You bet. C’est l’Halloween, faut trinquer.
- Donc, tu viens avec nous?
- Goddamn it. J’ai pas envie de sortir.
- C’est à huit pas. Vraiment, on sort dehors, le temps de crier «Tout l’monde tout nu» pis on est rendus.
- …
- …
- C’est combien, une bière?
- 5000 Dongs, je pense. L’équivalent de trente cennes la quille.
- Ok, j’embarque. J’espère juste qu’ils ont pas seulement un répertoire vietnamien.
- t’inquiète pas. »
Sous la pluie, Rémy, Kate, Kitty, Janet (ma coloc’ de chambre) et moi nous rendons dans une taverne pleine de néons, à un pas, effectivement, de notre Peace House. Dans une pièce isolée, sur de gros sofas en cuir brun, nous nous éparpillons autour d’une petite télé, tapottons sur le micro, parcourons la gargantuesque liste de tounes à la télécommande.
Sans étonner personne, Rémy casse la glace : « Depuis quelques années, je guide des jeunes Québécois pour un voyage saisonnier New York. Et à tous les ans, quand nous arrivons dans la grande pomme, le chauffeur et moi nous défonçons les cordes vocales à l’intercom sur New York, New York. J’en ai tellement marre que, pour vous montrer mon amour, je vais faire exactement la même chose ce soir. »
Les hauts-parleurs font vibrer le plancher, la serveuse vient claquer la porte pour mieux continuer sa besogne, non sans provoquer nos éclats de rire. « J’ai la pire voix de la terre, faut ben que j’en profite! », ajoute Rémy.
Après sa prestation illuminée s’ensuivent Ghostbusters (pour demeurer dans le thème de l’Halloween), Paint it black, Dancing queen, Come on Eileen, Wannabe (oui oui, des Spice Girls), Africa, Eye of the tiger, Our House, Billy Jane, toutes merveilleusement accompagnées d’une orchestration à base de xylophone, ainsi que d’extraits vidéo montrant des chutes, des jellyfishs et des messieurs asiatiques s’obstinant candidement à côté d’une laveuse. Le SUMMUM du quétaine.
Kitty cherche SA toune avec acharnement. Ne la voyant apparaître à nulle part dans le répertoire de chansons américaine, son alternative consiste à en trouver la version cantonaise. Miraculeusement, parce que c’est Kitty, elle y parvient.
Les sous-titres chinois défilent à l’écran, « Kitty, es-tu vraiment capable de lire ça »? « Pas vraiment, répond-elle lors d’un intermède à la flute, en faite j’improvise un peu. »
Alors que les grosses bières commencent à avoir l’effet escompté et que nous commençons à manquer d’inspiration, notre serveuse interrompt nos performances, armée d’un dictionnaire anglais-vietnamien pour mieux nous foutre dehors (dix heures et demie, c’est l’heure du dodo pour tout le monde). Nous décollons nos membres engourdis des sofas en cuir brun, payons nos consommations et quittons, à son soulagement manifeste.
Janet et moi demeurons quelques minutes sur le perron de la Peace House, pour discuter de conservatisme religieux en Australie (sa terre d’origine), du port du hidjab et d’accomodements raisonnables, gymnastique intellectuelle bien opposée à notre soirée karaoké.
Avant le dodo, juste après le brossage de dents, je lui manifeste le soulagement que j’ai éprouvé à chanter Big in Japan à tue-tête, avec une bonne bière.
« On a tous besoin de décrocher. », répond-elle. « …et de bien dormir, aussi. Bonne nuit. »
Les lumières éteintes, un souvenir me revient brusquement en tête.
Il y a presque un an, j’ai fait un travail de session sur le film « Lost in translation », travail qui suivit chronologiquement de près mon fameux cours de sushis. L’une de mes scènes préférées était celle où les personnages interprétés par Bill Murray et Scarlett Johanson déhambulent dans les rues de Tokyo en pleine nuit, pour une soirée karaoké. Malgré le nombre incalculable de fois où j’ai visionné ce film, je ne m’en suis jamais lassée.
D’accord, ma petite taverne à Saint-Meu-Meu-Wouf-Wouf-des-Viets avec ses néons, ses sofas bruns et ses méduses était beaucoup moins trendy que le fameux bar de Tokyo.
Tout de même.
Je pouvais dormir là-dessus, avec un grand sourire.
jeudi 1 novembre 2007
coloriage
Je n’ai pas encore fait développer les photos des enfants.
En faite, parmi les commissions urgentes, qui demanderont plusieurs heures de mon temps – investi, majoritairement, dans le transport en commun – , voici :
- Acheter des draps. Si la chaleur était suffoquante à mon arrivée, maintenant, y mouille et y fait frette; je suis tannée de me réveiller la nuit pour m’envelopper dans ma serviette.
- Acheter des gougounes. La loi de la gravité veut que l’eau qui coule dans le lavabo se retrouve presque immédiatement sur mes pieds, je me fais encore avoir (la tuyauterie, on compte pas là-dessus). Le sol des salles de bain est toujours mouillé - dois-je rappeler qu’aucune distinction physique n’existe ici entre la douche et la salle de bain, en totale harmonie l’une avec l’autre, comme le Yin et le Yan; l’eau vaque, feng-shui-euh-ment, dans toute la pièce.
- Acheter un petit sac, tout petit, qu’on peut cacher dans le d’sous d’bras. Dans les autobus bondés, je ne veux pas traîner quelque chose de trop volumineux, mais j’en ai également marre de fouiller dans la pochette secrète de mon mollet au milieu de tout ce beau monde bridé.
- Acheter des snacks et des fruits. J’en ai assez de toujours manger des toasts aux pinuts/marmelade avec un café instantané.
- Acheter une carte de la ville. Parce que c’est la chose la plus utile à avoir, en ce moment.
- Acheter un dictionnaire français/vietnamien. Parce que c’est la chose la plus utile à avoir après la carte de la ville.
- Acheter un vietnamien tout court, finalement. Aye toi, va me chercher à manger, et que ça saute.
***
Il mouille.
Je vais au cours, sans les photos pour faire du bricolage.
Les enfants ont une gueule de pluie, et l’enseignante me fait une face de bœuf. En me voyant arriver, c’est à peine si elle tire les lèvres légèrement vers les extrémités de son visage, je pense pas qu’on puisse appeler ça un sourire. Et quand elle me dit bonjour, je sais pas si je peux appeler ça un murmure. Elle est assise derrière son bureau, silencieuse.
Et les enfants colorient tous, encore, le même putain de chien.
Je passe à côté de chacun d’entre eux, j’essaie de séparer mon temps égal. Je regarde le coloriage, et j’essaie de mesurer le degré de participation nécessaire. Difficile à évaluer.
« Ils ont besoin d’aide pour développer leur motricité », m’a-t-on dit.
« Ce type de stage est l’occasion idéale pour développer ta créativité et ton sens du leadership », m’a-t-on aussi dit.
Est-ce que je manque VRAIMENT d’initiative, ou est-ce que je redoute, par exemple, d’entrer en classe avec mon radio-cassette pour dire : « Enweye, on joue à la chaise musicale! », quand juste les yeux de la prof remettent en question ma raison d’être venue au monde?
On s’entend que, si on considère mon niveau de compréhension de ce qui se déroule dans cette pièce, je serais classée à un degré bien inférieur à celui des élèves auxquels je suis sensée enseigner les joies de la motricité.
La prof ne me regarde même pas.
Je suis soudain tellement, tellement à bout de fatigue que j’ai envie de me coucher sur le plancher. Au lieu, je me dis : bon, tentons de communiquer. Je vais voir la prof, qui a l’air si plongée dans ses lectures, lui demande s’il y a quelque chose que je puisse faire pour elle.
« Oui », dit-elle, avec la douceur d’une brise dans les feuilles des palmiers.
« Aide-les à colorier. »
Ok. Pouvez-vous, s’il-vous-plait, m’enseigner la manière vietnamienne d’AIDER quelqu’un à colorier? Genre, je pogne le poignet pis je zigonne pour lui faire faire des barbots?
Parce que, ma manière à moi serait de dessiner des bigoudis au chien, mais est-ce que j’offusque quelqu’un en faisant ça, ici?
Si seulement j’avais un minimum de vocabulaire pour donner des directives.
…D’ailleurs, est-ce que je peux donner des directives, est-ce que je suis en position d’autorité? Est-ce que je pourrais dire au p’tit gêné, celui qui a rasé huit crayons de la même couleur: je veux PAS que tu colories le chien en rouge, fais-le dont beige? Pis tu vois, sur cette page-là, y’a des pointillés. Au lieu de barbouiller n’importe où, pourquoi tu tracerais juste pas une ligne pour relier les pointillés? Essaie de pas dépasser, pèse moins fort sur le crayon, garde la même couleur pour les pattes pis les oreilles, j’ai le droit, moi, de dire ça?
Et même si je pouvais le faire, come on, C’EST QUOI LE RAPPORT? Est-ce que j’ai vraiment fait deux jours d’avion pour chialer sur la façon dont un enfant dessine? Est-ce que j’impose lourdement ma façon de faire occidentale, de manière subliminale, en faisant comprendre qu’un chien, c’est PAS rouge, et que t’es PAS sensé dépasser des liiiiiignes?
À un autre niveau: peut-être que les quelques heures passées en ces lieux ne font pas une juste rétrospective de l’année scolaire. Mais quand je vois cette classe, si hétérogène, où les élèves ont parfois mon âge, où certains ont l’air en parfaite santé physique et même mentale, je ne veux pas m’imaginer que tout ce qu’ils font dans une journée, c’est colorier.
Considérer cette possibilité vient me chercher dans mes trippes.
Ça me donne envie de casser des pots de fleur.
En faite, parmi les commissions urgentes, qui demanderont plusieurs heures de mon temps – investi, majoritairement, dans le transport en commun – , voici :
- Acheter des draps. Si la chaleur était suffoquante à mon arrivée, maintenant, y mouille et y fait frette; je suis tannée de me réveiller la nuit pour m’envelopper dans ma serviette.
- Acheter des gougounes. La loi de la gravité veut que l’eau qui coule dans le lavabo se retrouve presque immédiatement sur mes pieds, je me fais encore avoir (la tuyauterie, on compte pas là-dessus). Le sol des salles de bain est toujours mouillé - dois-je rappeler qu’aucune distinction physique n’existe ici entre la douche et la salle de bain, en totale harmonie l’une avec l’autre, comme le Yin et le Yan; l’eau vaque, feng-shui-euh-ment, dans toute la pièce.
- Acheter un petit sac, tout petit, qu’on peut cacher dans le d’sous d’bras. Dans les autobus bondés, je ne veux pas traîner quelque chose de trop volumineux, mais j’en ai également marre de fouiller dans la pochette secrète de mon mollet au milieu de tout ce beau monde bridé.
- Acheter des snacks et des fruits. J’en ai assez de toujours manger des toasts aux pinuts/marmelade avec un café instantané.
- Acheter une carte de la ville. Parce que c’est la chose la plus utile à avoir, en ce moment.
- Acheter un dictionnaire français/vietnamien. Parce que c’est la chose la plus utile à avoir après la carte de la ville.
- Acheter un vietnamien tout court, finalement. Aye toi, va me chercher à manger, et que ça saute.
***
Il mouille.
Je vais au cours, sans les photos pour faire du bricolage.
Les enfants ont une gueule de pluie, et l’enseignante me fait une face de bœuf. En me voyant arriver, c’est à peine si elle tire les lèvres légèrement vers les extrémités de son visage, je pense pas qu’on puisse appeler ça un sourire. Et quand elle me dit bonjour, je sais pas si je peux appeler ça un murmure. Elle est assise derrière son bureau, silencieuse.
Et les enfants colorient tous, encore, le même putain de chien.
Je passe à côté de chacun d’entre eux, j’essaie de séparer mon temps égal. Je regarde le coloriage, et j’essaie de mesurer le degré de participation nécessaire. Difficile à évaluer.
« Ils ont besoin d’aide pour développer leur motricité », m’a-t-on dit.
« Ce type de stage est l’occasion idéale pour développer ta créativité et ton sens du leadership », m’a-t-on aussi dit.
Est-ce que je manque VRAIMENT d’initiative, ou est-ce que je redoute, par exemple, d’entrer en classe avec mon radio-cassette pour dire : « Enweye, on joue à la chaise musicale! », quand juste les yeux de la prof remettent en question ma raison d’être venue au monde?
On s’entend que, si on considère mon niveau de compréhension de ce qui se déroule dans cette pièce, je serais classée à un degré bien inférieur à celui des élèves auxquels je suis sensée enseigner les joies de la motricité.
La prof ne me regarde même pas.
Je suis soudain tellement, tellement à bout de fatigue que j’ai envie de me coucher sur le plancher. Au lieu, je me dis : bon, tentons de communiquer. Je vais voir la prof, qui a l’air si plongée dans ses lectures, lui demande s’il y a quelque chose que je puisse faire pour elle.
« Oui », dit-elle, avec la douceur d’une brise dans les feuilles des palmiers.
« Aide-les à colorier. »
Ok. Pouvez-vous, s’il-vous-plait, m’enseigner la manière vietnamienne d’AIDER quelqu’un à colorier? Genre, je pogne le poignet pis je zigonne pour lui faire faire des barbots?
Parce que, ma manière à moi serait de dessiner des bigoudis au chien, mais est-ce que j’offusque quelqu’un en faisant ça, ici?
Si seulement j’avais un minimum de vocabulaire pour donner des directives.
…D’ailleurs, est-ce que je peux donner des directives, est-ce que je suis en position d’autorité? Est-ce que je pourrais dire au p’tit gêné, celui qui a rasé huit crayons de la même couleur: je veux PAS que tu colories le chien en rouge, fais-le dont beige? Pis tu vois, sur cette page-là, y’a des pointillés. Au lieu de barbouiller n’importe où, pourquoi tu tracerais juste pas une ligne pour relier les pointillés? Essaie de pas dépasser, pèse moins fort sur le crayon, garde la même couleur pour les pattes pis les oreilles, j’ai le droit, moi, de dire ça?
Et même si je pouvais le faire, come on, C’EST QUOI LE RAPPORT? Est-ce que j’ai vraiment fait deux jours d’avion pour chialer sur la façon dont un enfant dessine? Est-ce que j’impose lourdement ma façon de faire occidentale, de manière subliminale, en faisant comprendre qu’un chien, c’est PAS rouge, et que t’es PAS sensé dépasser des liiiiiignes?
À un autre niveau: peut-être que les quelques heures passées en ces lieux ne font pas une juste rétrospective de l’année scolaire. Mais quand je vois cette classe, si hétérogène, où les élèves ont parfois mon âge, où certains ont l’air en parfaite santé physique et même mentale, je ne veux pas m’imaginer que tout ce qu’ils font dans une journée, c’est colorier.
Considérer cette possibilité vient me chercher dans mes trippes.
Ça me donne envie de casser des pots de fleur.
mercredi 31 octobre 2007
Comité d'accueil
Pour voir les photos - pas parfaites mais, tout de même, des photos - de mon comité d'accueil:
http://web.mac.com/genevievegd
...le serveur est trop pourri pour que je ne les publie ici.
http://web.mac.com/genevievegd
...le serveur est trop pourri pour que je ne les publie ici.
mardi 30 octobre 2007
L'alchimiste
Un matin de septembre, il y a un peu plus d’un an, je suis allée suivre un cours de sushis. C’était mon cadeau de fête de papa et Isabelle. J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle.
Généralement les gens préfèrent quand on commence par la mauvaise.
Je n’ai fait des sushis qu’une fois. C’est comme la sauce à spaghat, c’est toujours meilleur quand c’est quelqu’un d’autre qui la fait. Comme mon papa. Peut-être que ce ne sont pas tous les papas qui font la meilleure sauce à spaghat du monde, mais il se trouve que je suis quand même en chicane de couple avec mes feuilles de nori, après seulement une date.
Bonne nouvelle : la journée où je suis allée suivre mes cours de sushis, ma vie a changé complètement. Pour le mieux.
À ce moment-là je travaillais comme serveuse chez Alexandre, cet espèce de resto français bourré de touristes sur Peel, où mon ignoble patron (je l’écris avec toute la liberté d’expression que ma patrie m’autorise : mon MÉPRISABLE patron) tentait d’entraîner des pitounes à plumer de millionnaires. Je ne rentrerai pas dans les détails, je n’ai plus d’énergie à mettre pour me souvenir de cette expérience, si ce n’est qu’elle m’a enseigné ce qu’était le VIDE, afin que je reconnaisse l’ennemi. J’étudiais à temps partiel en scénarisation, mais ce programme ne m’apportait pas l’ombre d’un accomplissement.
Voilà donc, je me pointe à mon cours de sushis, et je me trouve devant cette femme, grande, blonde, froide, imposante, avec son gros couteau japonais. Elle était l’une des trois femmes au monde à avoir souffert la formation complète, rituelle, traditionnelle du maître sushis (interdite aux femmes d’origine japonaise, mais demandant tout de même une grande connaissance de la langue et de la culture ainsi que plusieurs années d’une vie; voilà pourquoi son statut était si respectable). Par chacun des gestes gracieux par lesquels cette femme - à qui on avait seulement envie de dire oui madame - jetait sa pâte tempura dans l’huile bouillante, il transparaissait non pas seulement des années à se faire critiquer la manière dont elle coupait ses nigiris, non pas seulement un nombre incalculable de fois où elle a dû refuser d’admettre qu’elle était à bout de force, mais également des années à méditer, à purifier son âme et son karma.
J’avais devant les yeux Uma Thurman, dans Kill Bill 2.
Cette femme qui n’a pas seulement consacré une bonne dizaine d’années à la culture japonaise a traversé l’Asie au grand complet, de long en large, et consacre maintenant deux mois de chaque année à y faire du bénévolat.
J’ai dû discuter un quart d’heure avec elle, une fois que tous les élèves eûrent quitté la classe. Je garde beaucoup de souvenirs des fois où, en lambineuse professionnelle, j’ai eu des discussions privilégiées avec les profs. Celle-ci fût probablement la plus déterminante.
En un an, depuis, j’ai épuré ma vie, couche par couche, jusqu’à en venir à mon rêve. Je l’ai regardé sous toutes ses coutures, du moins, du plus près que je le pouvais.
Voilà, on n’est jamais complètement prêt, parce que si on était vraiment parfaitement prêt, on n’apprendrait jamais complètement. Je pense. Alors j’ai décidé que ça y était, pour le meilleur et pour le pire.
Puisque je suis une lambineuse professionnelle, comme écrit précédemment, j’étais encore en train de bouquer mes valises quand on a sonné à la porte pour m’amener à l’aéroport. Je n’avais pas eu le temps d’acheter de lecture pour mes – interminables – heures de vol. J’ai donc parcouru ma bibliothèque des yeux, et un livre s’est mis à briller comme du cristal.
J’ai pris l’Alchimiste, j’ai zippé, j’ai verrouillé, et je suis partie.
***
« Mon cœur craint de souffrir, dit le jeune homme à l’Alchimiste, une nuit qu’ils regardaient le ciel sans lune.
- Dis-lui que la crainte de la souffrance est pire que la souffrance elle-même. Et qu’aucun cœur n’a jamais souffert alors qu’il était à la poursuite de ses rêves, parce que chaque instant de quête est un instant de rencontre avec Dieu et avec l’Éternité. »
J’ai reçu l’Alchimiste en cadeau suite à mon premier départ, le premier pas vers un rêve, quand j’ai quitté la petite ville du Nord (tsé, là, celle qui est tellement loin qu’elle tient de la légende – voir, du cauchemar). Il s’est passé huit ans sans que je ne le lise et je suis convaincue d’avoir choisi le meilleur moment pour m’y consacrer.
Pour ceux qui n’ont jamais lu l’Alchimiste (de Paule Coelho), je résume : un berger espagnol fait un rêve de pyramides. Il décide d’affronter l’inconnu pour aller résoudre une énigme se trouvant en Égypte, l’énigme de sa Légende Personnelle - ce récit écrit exclusivement pour lui par la Main Créatrice. À chacune de ses escalles, il perçoit de mieux en mieux des codes précis, instruments de l’Âme universelle. Ceux-ci se décryptent par l’intuition, l’écoute de son cœur pour reconnaître les signes.
Je vois des maudits signes partout.
Je vois même le livre en soi comme un signe.
À plusieurs milliers de kilomètres de chez moi, je régresse de dix ans, quinze ans, je deviens dépendante de tout le monde, vulnérable, toute nue. Nicholas m’a dit : « Quand tu vis une première immersion en Asie, tu dois désapprendre tout, et recommencer. »
Quand on a tout à réapprendre, c’est immanquable, on prend conscience des endroits où, naturellement, on bûche, on s’enfarge, on traîne de la patte. Toutes mes faiblesses (tous mes défis, pour être positive), je les ai en PLEINE YEULE, à cent kilomètres à l’heure. C’est une occasion en or pour les comprendre et les dépasser. Encore cela ne se fait-il pas par magie, c’est beau en parler, maintenant je le vis.
Un jour, je suis revenue d’un cours de sushis en gambadant parce qu’une femme exceptionnelle m’avait remis sur la route d’un vieux rêve, rêve qui s’était endormi main dans la main avec une grande peur. J’ai pris un an pour me demander si j’étais prête à affronter les deux.
Je n’ai plus à me le demander.
Je n’ai plus le goddamn CHOIX.
Voilà, ce matin je suis dans un jardin, accroupie comme une grenouille, j’arrache des mauvaises herbes dans un grand carré de sable plein plein d’araignées. C’est très plate, bien sûr. Je ne peux que méditer – ou plutôt, je ne peux que TROP réfléchir. Immanquable, je ne peux taire les choses qui me manquent. Je réalise l’équart des réalités, la montagne à escalader. Et j’ai déjà mal aux jambes après trois minutes de jardinage.
J’ai quatre ans, pis j’m’en fous, j’fais pipi dans mes culottes; j’ai quatre ans, pis j’m’en fous, j’fais pipi partout.
Pis j’parle pas Vietnamien.
Goddamn it.
L’heure du lunch, je parcours à pieds les vingts minute de marche qui me séparent de la Maison de la Paix, où j’habite. C’est –tellement- poussiéreux. Les feuilles des arbres sont brunes, même les chiens (tsé, là, ceux qu’on MANGE) ne sont pas de la bonne couleur. Tout a l’air rouillé. Et tout le monde klaxonne. Pour RIEN. « Tiens, une âme qui vive, honk honk », c’est comme une façon de dire bonjour, sauf que c’est le contraire d’un bonjour, c’est un bonjour antipathique.
Comme je m’attendais à ce que ça arrive, la journée où j’ai signé le formulaire qui m’envoyait ici, aujourd’hui je file un mauvais coton (il y a des journées comme ça même en ce merveilleux pays qu’est le Canada).
J’ai besoin de recharger mes batteries pour l’après-midi à l’école.
J’ai visité ma classe la veille. Les enfants étaient charmants, bien sûr, et j’ai fait beaucoup de dessins. J’ai pu parcourir de long en large un cahier à colorier qui présentait le même chien dans plusieurs situations, genre, le chien fait de la popotte, le chien éteind un feu, le chien fabrique une cabane. Je sais pas pourquoi, tout le monde avait l’air de s’être mis d’accord pour colorier le chien en rouge.
Je voulais seulement savoir si ma job, c’était de faire du coloriage pendant deux mois et demie. Ne m’en déplaise, je voulais seulement savoir quels étaient les besoins de cette école, exactement. Rien n’était clair, pas même à travers les sages paroles de Monsieur Cuong (à qui je devais tout de même l’épisode du taxi).
Après un bon repas, Mo, l’une des organisatrices, décide de rendre les choses limpides et de m’accompagner pour l’après-midi.
Je broie du noir, un peu. Les choses ne vont pas comme je veux aujourd’hui et je me sens en wonder-symptômes-prémenstruels en reparcourant, en moto cette fois, les quelques kilomètres qui me séparent du Friendship Village.
Je ne mets qu’un pied dans la classe et tout mon méchant de pré-menstrues s’envole.
On m’avait dit que travailler avec les enfants handicappés était quelque chose de très, très difficile. Pourtant, quand je reçois un tel accueil, après un si bref échange n’impliquant que des rudiments humains de communication, wow. Je n’ai pas la naïveté de croire que tout sera rose et facile pour toujours, mais je constate la pureté, la candeur de l’échange. Une douche froide dans la poussière du Friendship Village.
Les institutrices se mettent en ligne devant la classe, tenant chacune un objet en mains qu’elles montrent aux élèves avant de les cacher dans leur dos (une tasse, une poupée, une balle, un gros gros poisson qui fait peur tellement qu’il est gros). Ça chante des chansons, ça applaudit.
I don’t get it.
…mais j’ai TELLEMENT de fun. Mo est pliée en deux. Moi aussi, et j’ai même pas besoin de savoir pourquoi. Je reçois trois tonnes de dessins et de câlins et c’est un remontant extraordinaire. On fait un train en s’accrochant au chandail de celui d’en avant; mon ami le champion d’arts martiaux agrandit mon t-shirt de trois tailles. Aujourd’hui encore, il fait sa star en nous présentant un pestack de breakdance (malade).
Je commence à tous les connaître, un peu.
À un moment donné, au milieu des jeux, je demande à Mo s’il n’y a aucun problème à ce que je prenne des photos des élèves en classe.
Elle me dit : « Encore mieux. Ils adorent se voir sur image; et toi, tu dois les aider à développer leur motricité. Voilà ce qu’on va faire : tu vas prendre plein de photos d’eux, et je sais exactement où les développer. Ensuite, tu ramènes les photos ici et tu aides les enfants à les découper et les coller pour en faire de grandes affiches à poser dans la classe. »
La mâchoire me décroche.
Mo, t’es écoeurante.
T’es mon alchimiste.
Et ces enfants me ramènent à l’Âme du monde.
Je rentre à la maison, et j’ai soudainement rattrappé trois jours sur mon décalage horaire.
Aujourd’hui, photo time; Gilles, watch out ;).
Généralement les gens préfèrent quand on commence par la mauvaise.
Je n’ai fait des sushis qu’une fois. C’est comme la sauce à spaghat, c’est toujours meilleur quand c’est quelqu’un d’autre qui la fait. Comme mon papa. Peut-être que ce ne sont pas tous les papas qui font la meilleure sauce à spaghat du monde, mais il se trouve que je suis quand même en chicane de couple avec mes feuilles de nori, après seulement une date.
Bonne nouvelle : la journée où je suis allée suivre mes cours de sushis, ma vie a changé complètement. Pour le mieux.
À ce moment-là je travaillais comme serveuse chez Alexandre, cet espèce de resto français bourré de touristes sur Peel, où mon ignoble patron (je l’écris avec toute la liberté d’expression que ma patrie m’autorise : mon MÉPRISABLE patron) tentait d’entraîner des pitounes à plumer de millionnaires. Je ne rentrerai pas dans les détails, je n’ai plus d’énergie à mettre pour me souvenir de cette expérience, si ce n’est qu’elle m’a enseigné ce qu’était le VIDE, afin que je reconnaisse l’ennemi. J’étudiais à temps partiel en scénarisation, mais ce programme ne m’apportait pas l’ombre d’un accomplissement.
Voilà donc, je me pointe à mon cours de sushis, et je me trouve devant cette femme, grande, blonde, froide, imposante, avec son gros couteau japonais. Elle était l’une des trois femmes au monde à avoir souffert la formation complète, rituelle, traditionnelle du maître sushis (interdite aux femmes d’origine japonaise, mais demandant tout de même une grande connaissance de la langue et de la culture ainsi que plusieurs années d’une vie; voilà pourquoi son statut était si respectable). Par chacun des gestes gracieux par lesquels cette femme - à qui on avait seulement envie de dire oui madame - jetait sa pâte tempura dans l’huile bouillante, il transparaissait non pas seulement des années à se faire critiquer la manière dont elle coupait ses nigiris, non pas seulement un nombre incalculable de fois où elle a dû refuser d’admettre qu’elle était à bout de force, mais également des années à méditer, à purifier son âme et son karma.
J’avais devant les yeux Uma Thurman, dans Kill Bill 2.
Cette femme qui n’a pas seulement consacré une bonne dizaine d’années à la culture japonaise a traversé l’Asie au grand complet, de long en large, et consacre maintenant deux mois de chaque année à y faire du bénévolat.
J’ai dû discuter un quart d’heure avec elle, une fois que tous les élèves eûrent quitté la classe. Je garde beaucoup de souvenirs des fois où, en lambineuse professionnelle, j’ai eu des discussions privilégiées avec les profs. Celle-ci fût probablement la plus déterminante.
En un an, depuis, j’ai épuré ma vie, couche par couche, jusqu’à en venir à mon rêve. Je l’ai regardé sous toutes ses coutures, du moins, du plus près que je le pouvais.
Voilà, on n’est jamais complètement prêt, parce que si on était vraiment parfaitement prêt, on n’apprendrait jamais complètement. Je pense. Alors j’ai décidé que ça y était, pour le meilleur et pour le pire.
Puisque je suis une lambineuse professionnelle, comme écrit précédemment, j’étais encore en train de bouquer mes valises quand on a sonné à la porte pour m’amener à l’aéroport. Je n’avais pas eu le temps d’acheter de lecture pour mes – interminables – heures de vol. J’ai donc parcouru ma bibliothèque des yeux, et un livre s’est mis à briller comme du cristal.
J’ai pris l’Alchimiste, j’ai zippé, j’ai verrouillé, et je suis partie.
***
« Mon cœur craint de souffrir, dit le jeune homme à l’Alchimiste, une nuit qu’ils regardaient le ciel sans lune.
- Dis-lui que la crainte de la souffrance est pire que la souffrance elle-même. Et qu’aucun cœur n’a jamais souffert alors qu’il était à la poursuite de ses rêves, parce que chaque instant de quête est un instant de rencontre avec Dieu et avec l’Éternité. »
J’ai reçu l’Alchimiste en cadeau suite à mon premier départ, le premier pas vers un rêve, quand j’ai quitté la petite ville du Nord (tsé, là, celle qui est tellement loin qu’elle tient de la légende – voir, du cauchemar). Il s’est passé huit ans sans que je ne le lise et je suis convaincue d’avoir choisi le meilleur moment pour m’y consacrer.
Pour ceux qui n’ont jamais lu l’Alchimiste (de Paule Coelho), je résume : un berger espagnol fait un rêve de pyramides. Il décide d’affronter l’inconnu pour aller résoudre une énigme se trouvant en Égypte, l’énigme de sa Légende Personnelle - ce récit écrit exclusivement pour lui par la Main Créatrice. À chacune de ses escalles, il perçoit de mieux en mieux des codes précis, instruments de l’Âme universelle. Ceux-ci se décryptent par l’intuition, l’écoute de son cœur pour reconnaître les signes.
Je vois des maudits signes partout.
Je vois même le livre en soi comme un signe.
À plusieurs milliers de kilomètres de chez moi, je régresse de dix ans, quinze ans, je deviens dépendante de tout le monde, vulnérable, toute nue. Nicholas m’a dit : « Quand tu vis une première immersion en Asie, tu dois désapprendre tout, et recommencer. »
Quand on a tout à réapprendre, c’est immanquable, on prend conscience des endroits où, naturellement, on bûche, on s’enfarge, on traîne de la patte. Toutes mes faiblesses (tous mes défis, pour être positive), je les ai en PLEINE YEULE, à cent kilomètres à l’heure. C’est une occasion en or pour les comprendre et les dépasser. Encore cela ne se fait-il pas par magie, c’est beau en parler, maintenant je le vis.
Un jour, je suis revenue d’un cours de sushis en gambadant parce qu’une femme exceptionnelle m’avait remis sur la route d’un vieux rêve, rêve qui s’était endormi main dans la main avec une grande peur. J’ai pris un an pour me demander si j’étais prête à affronter les deux.
Je n’ai plus à me le demander.
Je n’ai plus le goddamn CHOIX.
Voilà, ce matin je suis dans un jardin, accroupie comme une grenouille, j’arrache des mauvaises herbes dans un grand carré de sable plein plein d’araignées. C’est très plate, bien sûr. Je ne peux que méditer – ou plutôt, je ne peux que TROP réfléchir. Immanquable, je ne peux taire les choses qui me manquent. Je réalise l’équart des réalités, la montagne à escalader. Et j’ai déjà mal aux jambes après trois minutes de jardinage.
J’ai quatre ans, pis j’m’en fous, j’fais pipi dans mes culottes; j’ai quatre ans, pis j’m’en fous, j’fais pipi partout.
Pis j’parle pas Vietnamien.
Goddamn it.
L’heure du lunch, je parcours à pieds les vingts minute de marche qui me séparent de la Maison de la Paix, où j’habite. C’est –tellement- poussiéreux. Les feuilles des arbres sont brunes, même les chiens (tsé, là, ceux qu’on MANGE) ne sont pas de la bonne couleur. Tout a l’air rouillé. Et tout le monde klaxonne. Pour RIEN. « Tiens, une âme qui vive, honk honk », c’est comme une façon de dire bonjour, sauf que c’est le contraire d’un bonjour, c’est un bonjour antipathique.
Comme je m’attendais à ce que ça arrive, la journée où j’ai signé le formulaire qui m’envoyait ici, aujourd’hui je file un mauvais coton (il y a des journées comme ça même en ce merveilleux pays qu’est le Canada).
J’ai besoin de recharger mes batteries pour l’après-midi à l’école.
J’ai visité ma classe la veille. Les enfants étaient charmants, bien sûr, et j’ai fait beaucoup de dessins. J’ai pu parcourir de long en large un cahier à colorier qui présentait le même chien dans plusieurs situations, genre, le chien fait de la popotte, le chien éteind un feu, le chien fabrique une cabane. Je sais pas pourquoi, tout le monde avait l’air de s’être mis d’accord pour colorier le chien en rouge.
Je voulais seulement savoir si ma job, c’était de faire du coloriage pendant deux mois et demie. Ne m’en déplaise, je voulais seulement savoir quels étaient les besoins de cette école, exactement. Rien n’était clair, pas même à travers les sages paroles de Monsieur Cuong (à qui je devais tout de même l’épisode du taxi).
Après un bon repas, Mo, l’une des organisatrices, décide de rendre les choses limpides et de m’accompagner pour l’après-midi.
Je broie du noir, un peu. Les choses ne vont pas comme je veux aujourd’hui et je me sens en wonder-symptômes-prémenstruels en reparcourant, en moto cette fois, les quelques kilomètres qui me séparent du Friendship Village.
Je ne mets qu’un pied dans la classe et tout mon méchant de pré-menstrues s’envole.
On m’avait dit que travailler avec les enfants handicappés était quelque chose de très, très difficile. Pourtant, quand je reçois un tel accueil, après un si bref échange n’impliquant que des rudiments humains de communication, wow. Je n’ai pas la naïveté de croire que tout sera rose et facile pour toujours, mais je constate la pureté, la candeur de l’échange. Une douche froide dans la poussière du Friendship Village.
Les institutrices se mettent en ligne devant la classe, tenant chacune un objet en mains qu’elles montrent aux élèves avant de les cacher dans leur dos (une tasse, une poupée, une balle, un gros gros poisson qui fait peur tellement qu’il est gros). Ça chante des chansons, ça applaudit.
I don’t get it.
…mais j’ai TELLEMENT de fun. Mo est pliée en deux. Moi aussi, et j’ai même pas besoin de savoir pourquoi. Je reçois trois tonnes de dessins et de câlins et c’est un remontant extraordinaire. On fait un train en s’accrochant au chandail de celui d’en avant; mon ami le champion d’arts martiaux agrandit mon t-shirt de trois tailles. Aujourd’hui encore, il fait sa star en nous présentant un pestack de breakdance (malade).
Je commence à tous les connaître, un peu.
À un moment donné, au milieu des jeux, je demande à Mo s’il n’y a aucun problème à ce que je prenne des photos des élèves en classe.
Elle me dit : « Encore mieux. Ils adorent se voir sur image; et toi, tu dois les aider à développer leur motricité. Voilà ce qu’on va faire : tu vas prendre plein de photos d’eux, et je sais exactement où les développer. Ensuite, tu ramènes les photos ici et tu aides les enfants à les découper et les coller pour en faire de grandes affiches à poser dans la classe. »
La mâchoire me décroche.
Mo, t’es écoeurante.
T’es mon alchimiste.
Et ces enfants me ramènent à l’Âme du monde.
Je rentre à la maison, et j’ai soudainement rattrappé trois jours sur mon décalage horaire.
Aujourd’hui, photo time; Gilles, watch out ;).
dimanche 28 octobre 2007
jam pack
Je ne peux malheureusement consulter aucun site sur blogspot (ni le mien, et ni ses commentaires), même si, pour une raison obscure, le serveur me permet tout de même de l'éditer.
S'il vous plait, écrivez-moi à vanille_pamplemousse@hotmail.com
Tout le monde ne jure que par Internet wireless ici...
C'est très comique: en ce moment, Lorenz est en train de faire l'inventaire - TRÈS FORT - de sa collection de dvds (28 days later, Alien resurection, Dead proof, etc...) à travers laquelle Kate doit choisir. Il est interrompu par un téléphone de Mr Bang qui, à ce que j'ai cru comprendre, était enfermé dehors.
Je n'ai pas encore parlé encore de Monsieur Bang.
C'est un petit Monsieur, tout gentil, tout gêné, avec des dents de lapin, qui ne nous regarde pas dans les yeux jamais jamais, et qui ne parle pas anglais. Quand il veut savoir le nom d'un objet, il le pointe du doigt et dit: « What's you're name.»
C'est lui qui s'occupe de plusieurs choses ici, comme la laveuse. Rémy dit: « Il faut lui dire souvent qu'il est beau. »
Monsieur Bang est un super bon cook; cette semaine, il a remplacé la cuisinière. Au souper, Rémy lui dit, en vietnamien: « Hey Monsieur Bang, c'est super bon, pis t'es super beau. »
Je vais regarder Terminator 2, avec Edward Furlong (Auuuuude je pense à toi)
Grosse journée... je suis allée m'acheter deux t-shirts et de la pâte à dents... ça m'a pris cinq heures... les autobus sont incroyablement jam pack - en faite jam pack n'est plus le terme approprié, disons que chaque centimètre carré de ma peau est en contact avec quelqu'un et que je n'ai AUCUNE IDÉE du paysage extérieur (les fenêtres se situent à la hauteur de mes genoux jusqu'à ma poitrine, et les plafonds me dépassent de quelques centimètres). Je sais une chose pourtant: c'est poussiéreux.
Il y a des ajustements à faire! Déjà que j'haïs magasiner, j'ai l'impression de faire huit fois le trajet pour me rendre à Laval en transport en commun, trois fois bondé comme à l'heure de pointe, mais qui passe à la fréquence du dimanche soir à minuit moins quart...
... un gros centre d'achat de Hanoi, c'est vraiment quelque chose. Un gentre de mix entre un gros Club price, un Wal Mart, une épicerie du Quartier Chinois, pis un poulet frit Kentucky. En parcourant d'un bout à l'autre, on voit trois tonnes de bébelles, des mangues, du papier cul, des jeans, des toutous en forme de bibittes bizarres... malade.
Ah oui.
Et on SUE. Je ne m'y suis pas encore fait.
Une autre chose à laquelle je ne me suis pas encore fait:
Le soir, des fois, pendant quelques secondes, on entend plein de chiens japper et pleurer en même temps. Rémy m'a dit que c'était les chiens qu'on amenait à l'abattoir, pour se faire manger.
Il était sérieux.
Bon, je retourne à Terminator 2.
Donnez-moi des nouvelles!!! et soyez sûrs que je les aurai dans les heures à venir.
S'il vous plait, écrivez-moi à vanille_pamplemousse@hotmail.com
Tout le monde ne jure que par Internet wireless ici...
C'est très comique: en ce moment, Lorenz est en train de faire l'inventaire - TRÈS FORT - de sa collection de dvds (28 days later, Alien resurection, Dead proof, etc...) à travers laquelle Kate doit choisir. Il est interrompu par un téléphone de Mr Bang qui, à ce que j'ai cru comprendre, était enfermé dehors.
Je n'ai pas encore parlé encore de Monsieur Bang.
C'est un petit Monsieur, tout gentil, tout gêné, avec des dents de lapin, qui ne nous regarde pas dans les yeux jamais jamais, et qui ne parle pas anglais. Quand il veut savoir le nom d'un objet, il le pointe du doigt et dit: « What's you're name.»
C'est lui qui s'occupe de plusieurs choses ici, comme la laveuse. Rémy dit: « Il faut lui dire souvent qu'il est beau. »
Monsieur Bang est un super bon cook; cette semaine, il a remplacé la cuisinière. Au souper, Rémy lui dit, en vietnamien: « Hey Monsieur Bang, c'est super bon, pis t'es super beau. »
Je vais regarder Terminator 2, avec Edward Furlong (Auuuuude je pense à toi)
Grosse journée... je suis allée m'acheter deux t-shirts et de la pâte à dents... ça m'a pris cinq heures... les autobus sont incroyablement jam pack - en faite jam pack n'est plus le terme approprié, disons que chaque centimètre carré de ma peau est en contact avec quelqu'un et que je n'ai AUCUNE IDÉE du paysage extérieur (les fenêtres se situent à la hauteur de mes genoux jusqu'à ma poitrine, et les plafonds me dépassent de quelques centimètres). Je sais une chose pourtant: c'est poussiéreux.
Il y a des ajustements à faire! Déjà que j'haïs magasiner, j'ai l'impression de faire huit fois le trajet pour me rendre à Laval en transport en commun, trois fois bondé comme à l'heure de pointe, mais qui passe à la fréquence du dimanche soir à minuit moins quart...
... un gros centre d'achat de Hanoi, c'est vraiment quelque chose. Un gentre de mix entre un gros Club price, un Wal Mart, une épicerie du Quartier Chinois, pis un poulet frit Kentucky. En parcourant d'un bout à l'autre, on voit trois tonnes de bébelles, des mangues, du papier cul, des jeans, des toutous en forme de bibittes bizarres... malade.
Ah oui.
Et on SUE. Je ne m'y suis pas encore fait.
Une autre chose à laquelle je ne me suis pas encore fait:
Le soir, des fois, pendant quelques secondes, on entend plein de chiens japper et pleurer en même temps. Rémy m'a dit que c'était les chiens qu'on amenait à l'abattoir, pour se faire manger.
Il était sérieux.
Bon, je retourne à Terminator 2.
Donnez-moi des nouvelles!!! et soyez sûrs que je les aurai dans les heures à venir.
samedi 27 octobre 2007
y'avait de chats, des rats... des coquerelles...
Les procédures doinières se déroulent rapidement, facilement, parce que je fais des petits sourires cutes. J’attends mes baggages longtemps, par contre. Au mois d’octobre, je m’attendais tout bonnement à une petite brise, certainement pas à une chaleur si enveloppante.
Au ralenti, quand je me dirige vers la sortie, je vois plein de pancartes avec des noms. J’aperçois le mien, tenu à bout de bras par une magnifique vietnamienne, qui m’accueille avec un grand sourire. Elle est également bénévole pour l’organisme qui m’accueille.
Dehors, je respire, c’est le moment tant attendu.
Ça sent TELLEMENT bon. La fumée, l’humidité, le vert, les fleurs. L’air circule en expansion dans tout mon corps, wow, je suis au Vietnam.
On embarque dans la voiture d’un chauffeur désigné. Aucune ceinture de sécurité. Sur la route, presque seulement des motocyclettes, ça klaxonne à tours de bras, ça se coupe, ça zigzague librement. Dhàm, la jeune femme, se retourne vers moi avec un grand sourire, me demande si j’ai faim. Je ne pense pas du tout à avoir faim en ce moment, plusieurs de mes sens sont déjà en intense stimulation, c’est assez prenant. Elle m’offre une clémentine, que j’accepte avec joie en regardant partout. La ville est sale, verte, vivante, je tombe en amour immédiatement.
Après avoir parcouru quelques petits villages enfouis sous les arbres, la voiture s’arrête devant une charmante bâtisse, gardée par de gigantesques palmiers. C’est ici que je vais vivre pour les 10 semaines à venir.
J’entre.
Il y a d’immenses fenêtres partout, elles sont ouvertes, et les feuilles des arbres pénètrent presque à l’intérieur de l’immeuble. Une jeune femme occidentale (Francesca, je l’apprendrai plus tard) consulte son laptop dans la pièce principale, où de gigantesques affiches pleines de photos des bénévoles des années passées trônent sur les murs. À côté d’elle, une jeune femme (Julia, une Autrichienne) donne une classe d’anglais à une dizaine d’étudiants vietnamiens, qui ne se laissent pas déranger par notre arrivée. La professeur fait des dessins sur un tableau. En anglais, elle les commente: « Ça, c’est des frites. Vous savez c’est quoi des frites? C’est fait avec des patates. »
Un grand châtain aux yeux bleus se pointe avec des gougounes et un bol de céréales au chocolat. Il a l’air vraiment en lendemain de veille. « Salut, moi c’est Laurenz. D’où est-ce que tu viens.? » « Montréal. » « Ah merde! Encore une canadienne? Il pleut des canadiens ici, nous sommes envahis. »
Je vais me chercher un verre d’eau.
Dhàm : « As-tu faim? J’ai laissé ton dîner sur le comptoir. Tu te sers quand tu en rescens le besoin. »
Laurenz : « Mange en toute tranquillité. Ici, on a une tradition : le dernier arrivé fait la vaisselle pour tout le monde au souper. »
Francesca, abandonnant son laptop : « Il niaise, fais pas attention à lui. »
Laurenz : « Tu viens toujours tout gâcher. »
Francesca : « C’est quoi, ces cheveux-là? »
Laurenz : « Rappelle-moi pas que j’ai l’air d’une fille de seize ans. J’ai demandé à Kitty de me couper une mèche et elle a massacré ma tête au complet. »
Julia, poursuivant son cours : « Ça, c’est de la tarte aux pommes. Non? Personne n’a jamais mangé de la tarte aux pommes ici? »
Je ne peux m’empêcher de sourire, prenant soin de bien remplir mes poumons d’air vietnamien.
Je monte au deuxième : de grandes fenêtres offrent une vue sur une jolie bâtisse, beaucoup d’arbres de toutes variétés, tout autant de fleurs, et encore autant de motocyclettes garées dans un coin. Ma chambre est une grande pièce où reignent deux installations de lits superposés, enfouis sous de grands moustiquaires, et dont les échelles servent de tablettes pour le shampooing et la brosse à dents. Je partagerai ma chambre avec une Australienne que je n’ai pas encore rencontré. Je visite les salles de bains : woohoo, des toilettes occidentales. Je cherche la douche. Dhàm, où est la douche? Là, juste là, à côté du lavabo.
Voilà : la douche consiste en un pommeau au milieu de nulle part, pas de rideau, aucune séparation avec le reste de la pièce. Parlant de douche, j’en veux une au plus sacrant, sous cette chaleur collante, après deux jours d’avion. Je n’ai pas de savon, pas de pâte à dents. Nicolas, un Québécois qui vit au centre depuis plusieurs mois, vole à mon secours. Il me parle du pays, de son intégration, tout en se téléchargeant des épisodes de SouthPark. Me tendant un bout de savon : « Tu verras, les choses vont se placer. N’oublie pas de prendre une bonne douche le vendredi soir, des fois, ils coupent l’eau durant la fin de semaine. Bienvenue au Vietnam. »
Je prends la meilleure douche de ma vie, évidemment je mouille tout mon linge parce que je ne suis pas habituée à les avoir aussi près de la source d’eau. Je m’en fous. Tout ce qui m’aurait dérangé à Montréal n’est plus un soucis ici. Mes critères ont chuté considérablement. Je n’ai de vêtements que pour les trois jours à venir et je m’arrangerai avec. Quelle libération de ne plus avoir à me préoccuper de ce que je vais mettre pour aller travailler au Passeport, de placer mes cheveux. Peu importe ce que je vais mettre, il y aura du brun dedans, et mes cheveux seront laids, c’est merveilleux. Je veux organiser mon espace, mais ça me demande, étrangement, presque plus d’énergie pour défaire ma valise qu’il ne m’en fallait pour la faire. Je suis si contente d’être ici que j’en oublie à quel point je suis exténuée. Chaque petite activité, chaque geste devient très, très lourd. Mon corps n’est pas habitué à la chaleur. Je tombe comme une roche avant l’heure du souper, juste après avoir contemplé une pleine lune orange par les grandes fenêtres de ma chambre.
***
Je me réveille vers sept heures du matin. Je me fais des rôties (pas avec l’aide d’un grille-pain, mais plutôt d’un genre de machine à grillcheeze) avec du beurre d’arachides et de la marmelade, que j’applique avec le dos d’une cuillière; les couteaux sont à peu près inexistants ici. Dans l’heure, j’ai un – long - meeting avec un petit homme qui parle anglais avec un accent vietnamien incroyable. Son nom est Cuong, et c’est lui qui coordonne mon horaire pour les jours à venir (on me le dira : au Vietnam, l’horaire, le temps, est quelque chose de tout à fait flexible, qui implique une forte part d’imprévu).
Vers midi, c’est l’heure du lunch.
Bénévoles étrangers et vietnamiens se réunissent autour d’une grande table et se servent dans de grands plats de riz vapeur, de chou bouilli, de porc (très, très, très salé), de tofu aux champignons dans une sauce sucrée. Je rencontre Hoang, un bénévole avec une énergie débordante, qui me fera visiter le village dans lequel je vais travailler, tout de suite après une petite sieste vivifiante.
Je fais mon premier tour de moto à vie, dans des rues incroyablement poussiéreuses. La pauvreté est frappante, mais je suis charmée par les champs à perte de vue, les arbres qui bordent les routes.
Notre destination est une région affectée par l’agent orange, un produit chimique laissé par les Américains durant la guerre, dont les traces se manifestent encore par des handicappes considérables. Après seulement quelques minutes de route, nous arrivons au Friendship Village.
Les jardins sont immenses, l’endroit respire étonnamment la joie de vivre. Je rencontre une toute petite femme, enceinte, complètement vêtue de rose. Elle m’accueille avec un grand sourire et quelques timides mots d’anglais.
Elle et Hoang me font alors visiter cinq ou six classes d’enfants, le plus souvent laissés à eux-mêmes, à leurs jeux, sans aucun adulte. Ils nous accueillent avec de grands gestes de la mains, de magnifiques sourires. La plupart d’entre eux sont handicappés physiquement, d’autres mentalement, certains ont des malformations que je n’aurais su imaginer (trace manifeste des produits chimiques des décennies passées). Les plus mobiles d’entres eux sont placés dans des classes où ils apprennent à coudre vêtements, sacs à mains et toiles artisanales, ou encore à fabriquer des fleurs en tissu. Ces activités seront probablement l’un de leurs seuls moyens de survie dans l’avenir, avenir que je devine encore plus marqué par l’injustice que ne peut l’être leur présent. Mon rôle ici? Leur donner de l’attention, tout simplement. Jouer avec eux, les distraire, les occuper. C’est bien temporaire comme solution à leur condition, mais quelle solution à long terme peut-il bien exister. Je me retrouve face à une injustice toute naturelle qui émerge un peu partout où il y de la vie, depuis que la vie existe: l’exception. Je ne peux qu’apprendre d’elle.
Mado, tu m’as dit que les gens beaux, bons, performants, qui réussissent, pour qui tout va toujours bien, ils t’emmerdent. Tu aimes la différence dans ce qu’elle a de plus cruel comme dans ce qu’elle a de plus beau – c’est à dire le contact pur, qui dépasse les paroles, l’intellect. Celui qui passe par les yeux, le toucher, le cœur.
Une petite fille a couru vers moi à toute vitesse pour me serrer dans ses bras, et elle n’a pas voulu me lâcher pour plusieurs minutes. Un autre petit bout de chou m’a fait une démonstration d’arts martiaux (il était vraiment doué, le p’tit mozus), un autre m’a volé ma bouteille d’eau pour m’en voler quelques gorgés, et d’un accord général, ils m’ont tous rebaptisée : Canada.
J’ai eu l’impression d’être arrivée quelque part. La sensation que, malgré le choc culturel, une partie de moi savait exactement ce qu’elle allait chercher ici, et c’est PRÉCISÉMENT ça.
Mado, merci pour tes si précieux conseils.
***
Je rencontre Kitty, une Montréalaise d’origine Chinoise. Ici, tout le monde lui parle en vietnamien, par réflexe. « C’est eux qui ont tous l’air chinois. », dit-elle.
Elle me propose de sortir en ville, dans un cinéma de répertoire, avec Francesca et Kate (une bénévole d’origine australienne avec un superbe accent).
« Un film de Fellini. »
Certain que je veux aller voir un film de Fellini.
Il ne faut qu’attrapper le bus. Parce que le bus, au Vietnam, il passe quand il veut bien. Contrairement à la stm qui donne des heures déterminées et qui ne les respecte pas, ici, c’est tout à fait assumé. Et si les arrêts sont bien fixes, ça ne veut pas nécessairement dire que le bus doit arrêter. Voici le truc : quand il arrive de loin, il faut courir en suivant sa trajectoire, pour qu’il nous remarque. Sinon, tant pis. À partir du moment où on est assez chanceux pour que s’ouvre la porte arrière, on pousse du coude pour entrer et on prie pour trouver un peu d’espace. Et on s’arrange, surtout, pour n’avoir rien dans les poches.
Nous transférons d’un autobus à l’autre, c’est très long, mais le trajet aura coûté environ trente cennes. On marche en rond une quinzaine de minutes. Je meurs de faim. Sur le chemin, une femme vend de petits pâtés de riz collant farcis aux haricots, puis frits. Nous en partageons quelques uns avant de passer par une ruelle sombre qui mène à…
…un magnifique café européen, à la belle étoile. Il est juste à l’entrée de notre cinéma.
Ça parle italien, haut et fort. Francesca est ravie, entame la conversation avec tout le monde. Un serveur passe près de nous et nous offre de délicieuses bouchées aux tomates et à l’ail.
Je me dis que nous aurons le temps de manger avant le film, eh non. Le temps file, à Hanoi. Kitty me dit : « ici, évalue le temps qu’il te faudra pour te rendre quelque part, et multiplie-le par deux. »
À peine le temps de commander un verre de vin que nous nous entassons dans une petite salle, interrompant le discours d’ouverture, partagé par deux dames: l’une s’exprime en Vietnamien, l’autre, en Italien. J’écoute, séduite, la beauté du clash de sonorités, en contre-temps linguistique.
Le film est tout à fait charmant, un seul problème : au bout d’une heure ou deux, je suis frappée par une lourde fatigue, et une déshydratation manifeste. Je gigotte dans tous les sens, je suffoque, mon corps n’apprécie pas le vin, je veux me coucher.
Une chose me frappe, soudainement : à partir de maintenant, je dois être plus sensible à mon instinct que je ne l’ai jamais été. Je ne peux plus me permettre de mettre mon corps à l’épreuve, d’aucune façon. Et si mon corps n’est pas en forme, ma tête suit. La concentration baisse en chute libre, le moral est plus fragile. Ça se manifeste à la sortie de la salle, quand je vais me chercher une bouteille d’eau; le décors est magnifique, d’un romantisme extraordinaire, il y a des fleurs et des vignes, des lumières de Noël même, les jolies tables sont en fonte artisanale, et à travers tout ça, j’aperçois une coquerelle plus grosse qu’un biscuit Oréo.
« Merde, je ne suis pas habituée à ça. »
Kitty : « Tu vas t’y faire. Faut seulement faire attention, au Vietnam, elles mordent. L’un des particippant du centre a dû se gaver d’antibiotiques après s’être fait piquer dans le cou. »
Je pâlis légèrement.
« Tu es dans un pays tropical, ça fait partie du reste! Des lézards, des serpents, des bibittes… Écoute, cette semaine j’ai vu un rat gros comme un chat, au centre. Je suis encore en vie. »
J’ai une grosse montée de doutes. Pourquoi je suis venue ici. Je vais rester six mois. Ça va être encore pire en Inde. Je ne me sens pas bien.
…puis, une montée de raison : tu es très fatiguée, et tu as besoin de t’adapter. Les quelques instants où tu risques de voir des coquerelles, et même si elles te touchent (oh my god oh my god oh my god, dégueulasse), ne vont tout de même pas concurrencer toutes les belles choses que tu as vues et que tu vas voir dans les semaines, les mois à venir. Come on.
Soudainement, à cet instant précis, c’est parfaitement de circonstance, je vois un rat, un groooooos rat. Pas gros comme un chat mais gros quand même.
Pourquoi, ça ne me fait pas un pli. Ça ne me lève pas le cœur. Ça ne me fait pas peur. C’est un rat. Et après. « Bon, je suis bien partie. »
Bien partie, mais brûlée. Je ne peux suivre le groupe dans ses virées nocturnes. Je veux prendre un taxi.
Un taxi safe. Je fais appel aux services de Francesca pour qu’elle appelle une compagnie fiable.
Quand je vois le taxi devant la petite ruelle qui mène au cinéma, j’ai un doute. Kitty a un doute. Nous communiquons notre doute par un regard douteux. C’est le nom de la compagnie qui nous rassure, un peu. Dans les circonstances, j’embarque.
Après vingt minutes de route, bien loins du centre-ville, nous arrivons à une intersection, passons par le même genre de villages poussiéreux que j’avais visité pour aller au Friendship Village. Seulement, ce ne sont pas les mêmes, et ils ne sont éclairés que grâce aux phars de la voiture. Il n’y a pas un chat dans les environs.
Mon chauffeur est perdu.
Et il ne parle pas anglais.
Je précise : je ne parle pas Vietnamien non plus.
Je peux compter sur les doigts d’une main le nombre de fois où j’ai eu aussi peur dans ma vie. Je réalise soudainement c’est quoi, être vulnérable, aussi limitée dans ses ressources. Pas la langue. Pas l’orientation. Pas de cellulaire, ni le numéro de quelqu’un à rejoindre dans ma mémoire – parent, ami, police, numéro d’une compagnie de taxi. Tous ces outils, si élémentaires pour moi à Montréal, disparaissent tous d’un coup. Par chance, j’ai la carte d’affaire, l’adresse exacte de l’établissement. Ce petit bout de papier dans ma poche, plus une somme d’argent très raisonnable, s’avèrent mon seul recours pour rentrer chez moi. Le chauffeur réveille le responsable de Volunteers for peace, Cuong (c’est une chance qu’il réponde, à 23 heures), pour qu’il le guide dans la campagne noire. Une fois rendus sur place, Monsieur-je-parle-pas-anglais-et-je-connais-pas-mon-chemin me charge un extra pour avoir utilisé les onéreux services de son CELLULAIRE. J’étais trop à bout de moi-même pour l’envoyer chier.
Je me suis rendue compte que je devais respecter mes limites, et j’ai ciblé, en moins de deux jours, plusieurs cadres où elles se situaient. Ce n’est pas le moment d’avoir honte d’ignorer, on ne parle même plus d’ignorer des faits mais même des manières d’apprendre en soi. Je constate mieux que jamais à quel point chaque voyageur a des yeux différents, et que ce qu’il perçoit, la manière dont il vit son adaptation lui renvoie un certain reflet de lui-même. Il y a trop de choses à voir pour qu’il n’y ait pas, consciemment ou non, un certain choix à faire, ou encore, que certains éléments nous choisissent eux-même.
Je choisis de voir le sourire des enfants, l’accueil si chaleureux des gens de l’organisme, les autobus bondés, les insectes, les arbres, les cinémas de répertoires, les taxis qui ne sont pas fiables. Je décide de sentir l’odeur de fumée, de smog, de végétation.
Pour le moment, ça, c’est mon Vietnam.
Et, aucun doute là-dessus, ça va évoluer à un point que j’ignore encore.
Au ralenti, quand je me dirige vers la sortie, je vois plein de pancartes avec des noms. J’aperçois le mien, tenu à bout de bras par une magnifique vietnamienne, qui m’accueille avec un grand sourire. Elle est également bénévole pour l’organisme qui m’accueille.
Dehors, je respire, c’est le moment tant attendu.
Ça sent TELLEMENT bon. La fumée, l’humidité, le vert, les fleurs. L’air circule en expansion dans tout mon corps, wow, je suis au Vietnam.
On embarque dans la voiture d’un chauffeur désigné. Aucune ceinture de sécurité. Sur la route, presque seulement des motocyclettes, ça klaxonne à tours de bras, ça se coupe, ça zigzague librement. Dhàm, la jeune femme, se retourne vers moi avec un grand sourire, me demande si j’ai faim. Je ne pense pas du tout à avoir faim en ce moment, plusieurs de mes sens sont déjà en intense stimulation, c’est assez prenant. Elle m’offre une clémentine, que j’accepte avec joie en regardant partout. La ville est sale, verte, vivante, je tombe en amour immédiatement.
Après avoir parcouru quelques petits villages enfouis sous les arbres, la voiture s’arrête devant une charmante bâtisse, gardée par de gigantesques palmiers. C’est ici que je vais vivre pour les 10 semaines à venir.
J’entre.
Il y a d’immenses fenêtres partout, elles sont ouvertes, et les feuilles des arbres pénètrent presque à l’intérieur de l’immeuble. Une jeune femme occidentale (Francesca, je l’apprendrai plus tard) consulte son laptop dans la pièce principale, où de gigantesques affiches pleines de photos des bénévoles des années passées trônent sur les murs. À côté d’elle, une jeune femme (Julia, une Autrichienne) donne une classe d’anglais à une dizaine d’étudiants vietnamiens, qui ne se laissent pas déranger par notre arrivée. La professeur fait des dessins sur un tableau. En anglais, elle les commente: « Ça, c’est des frites. Vous savez c’est quoi des frites? C’est fait avec des patates. »
Un grand châtain aux yeux bleus se pointe avec des gougounes et un bol de céréales au chocolat. Il a l’air vraiment en lendemain de veille. « Salut, moi c’est Laurenz. D’où est-ce que tu viens.? » « Montréal. » « Ah merde! Encore une canadienne? Il pleut des canadiens ici, nous sommes envahis. »
Je vais me chercher un verre d’eau.
Dhàm : « As-tu faim? J’ai laissé ton dîner sur le comptoir. Tu te sers quand tu en rescens le besoin. »
Laurenz : « Mange en toute tranquillité. Ici, on a une tradition : le dernier arrivé fait la vaisselle pour tout le monde au souper. »
Francesca, abandonnant son laptop : « Il niaise, fais pas attention à lui. »
Laurenz : « Tu viens toujours tout gâcher. »
Francesca : « C’est quoi, ces cheveux-là? »
Laurenz : « Rappelle-moi pas que j’ai l’air d’une fille de seize ans. J’ai demandé à Kitty de me couper une mèche et elle a massacré ma tête au complet. »
Julia, poursuivant son cours : « Ça, c’est de la tarte aux pommes. Non? Personne n’a jamais mangé de la tarte aux pommes ici? »
Je ne peux m’empêcher de sourire, prenant soin de bien remplir mes poumons d’air vietnamien.
Je monte au deuxième : de grandes fenêtres offrent une vue sur une jolie bâtisse, beaucoup d’arbres de toutes variétés, tout autant de fleurs, et encore autant de motocyclettes garées dans un coin. Ma chambre est une grande pièce où reignent deux installations de lits superposés, enfouis sous de grands moustiquaires, et dont les échelles servent de tablettes pour le shampooing et la brosse à dents. Je partagerai ma chambre avec une Australienne que je n’ai pas encore rencontré. Je visite les salles de bains : woohoo, des toilettes occidentales. Je cherche la douche. Dhàm, où est la douche? Là, juste là, à côté du lavabo.
Voilà : la douche consiste en un pommeau au milieu de nulle part, pas de rideau, aucune séparation avec le reste de la pièce. Parlant de douche, j’en veux une au plus sacrant, sous cette chaleur collante, après deux jours d’avion. Je n’ai pas de savon, pas de pâte à dents. Nicolas, un Québécois qui vit au centre depuis plusieurs mois, vole à mon secours. Il me parle du pays, de son intégration, tout en se téléchargeant des épisodes de SouthPark. Me tendant un bout de savon : « Tu verras, les choses vont se placer. N’oublie pas de prendre une bonne douche le vendredi soir, des fois, ils coupent l’eau durant la fin de semaine. Bienvenue au Vietnam. »
Je prends la meilleure douche de ma vie, évidemment je mouille tout mon linge parce que je ne suis pas habituée à les avoir aussi près de la source d’eau. Je m’en fous. Tout ce qui m’aurait dérangé à Montréal n’est plus un soucis ici. Mes critères ont chuté considérablement. Je n’ai de vêtements que pour les trois jours à venir et je m’arrangerai avec. Quelle libération de ne plus avoir à me préoccuper de ce que je vais mettre pour aller travailler au Passeport, de placer mes cheveux. Peu importe ce que je vais mettre, il y aura du brun dedans, et mes cheveux seront laids, c’est merveilleux. Je veux organiser mon espace, mais ça me demande, étrangement, presque plus d’énergie pour défaire ma valise qu’il ne m’en fallait pour la faire. Je suis si contente d’être ici que j’en oublie à quel point je suis exténuée. Chaque petite activité, chaque geste devient très, très lourd. Mon corps n’est pas habitué à la chaleur. Je tombe comme une roche avant l’heure du souper, juste après avoir contemplé une pleine lune orange par les grandes fenêtres de ma chambre.
***
Je me réveille vers sept heures du matin. Je me fais des rôties (pas avec l’aide d’un grille-pain, mais plutôt d’un genre de machine à grillcheeze) avec du beurre d’arachides et de la marmelade, que j’applique avec le dos d’une cuillière; les couteaux sont à peu près inexistants ici. Dans l’heure, j’ai un – long - meeting avec un petit homme qui parle anglais avec un accent vietnamien incroyable. Son nom est Cuong, et c’est lui qui coordonne mon horaire pour les jours à venir (on me le dira : au Vietnam, l’horaire, le temps, est quelque chose de tout à fait flexible, qui implique une forte part d’imprévu).
Vers midi, c’est l’heure du lunch.
Bénévoles étrangers et vietnamiens se réunissent autour d’une grande table et se servent dans de grands plats de riz vapeur, de chou bouilli, de porc (très, très, très salé), de tofu aux champignons dans une sauce sucrée. Je rencontre Hoang, un bénévole avec une énergie débordante, qui me fera visiter le village dans lequel je vais travailler, tout de suite après une petite sieste vivifiante.
Je fais mon premier tour de moto à vie, dans des rues incroyablement poussiéreuses. La pauvreté est frappante, mais je suis charmée par les champs à perte de vue, les arbres qui bordent les routes.
Notre destination est une région affectée par l’agent orange, un produit chimique laissé par les Américains durant la guerre, dont les traces se manifestent encore par des handicappes considérables. Après seulement quelques minutes de route, nous arrivons au Friendship Village.
Les jardins sont immenses, l’endroit respire étonnamment la joie de vivre. Je rencontre une toute petite femme, enceinte, complètement vêtue de rose. Elle m’accueille avec un grand sourire et quelques timides mots d’anglais.
Elle et Hoang me font alors visiter cinq ou six classes d’enfants, le plus souvent laissés à eux-mêmes, à leurs jeux, sans aucun adulte. Ils nous accueillent avec de grands gestes de la mains, de magnifiques sourires. La plupart d’entre eux sont handicappés physiquement, d’autres mentalement, certains ont des malformations que je n’aurais su imaginer (trace manifeste des produits chimiques des décennies passées). Les plus mobiles d’entres eux sont placés dans des classes où ils apprennent à coudre vêtements, sacs à mains et toiles artisanales, ou encore à fabriquer des fleurs en tissu. Ces activités seront probablement l’un de leurs seuls moyens de survie dans l’avenir, avenir que je devine encore plus marqué par l’injustice que ne peut l’être leur présent. Mon rôle ici? Leur donner de l’attention, tout simplement. Jouer avec eux, les distraire, les occuper. C’est bien temporaire comme solution à leur condition, mais quelle solution à long terme peut-il bien exister. Je me retrouve face à une injustice toute naturelle qui émerge un peu partout où il y de la vie, depuis que la vie existe: l’exception. Je ne peux qu’apprendre d’elle.
Mado, tu m’as dit que les gens beaux, bons, performants, qui réussissent, pour qui tout va toujours bien, ils t’emmerdent. Tu aimes la différence dans ce qu’elle a de plus cruel comme dans ce qu’elle a de plus beau – c’est à dire le contact pur, qui dépasse les paroles, l’intellect. Celui qui passe par les yeux, le toucher, le cœur.
Une petite fille a couru vers moi à toute vitesse pour me serrer dans ses bras, et elle n’a pas voulu me lâcher pour plusieurs minutes. Un autre petit bout de chou m’a fait une démonstration d’arts martiaux (il était vraiment doué, le p’tit mozus), un autre m’a volé ma bouteille d’eau pour m’en voler quelques gorgés, et d’un accord général, ils m’ont tous rebaptisée : Canada.
J’ai eu l’impression d’être arrivée quelque part. La sensation que, malgré le choc culturel, une partie de moi savait exactement ce qu’elle allait chercher ici, et c’est PRÉCISÉMENT ça.
Mado, merci pour tes si précieux conseils.
***
Je rencontre Kitty, une Montréalaise d’origine Chinoise. Ici, tout le monde lui parle en vietnamien, par réflexe. « C’est eux qui ont tous l’air chinois. », dit-elle.
Elle me propose de sortir en ville, dans un cinéma de répertoire, avec Francesca et Kate (une bénévole d’origine australienne avec un superbe accent).
« Un film de Fellini. »
Certain que je veux aller voir un film de Fellini.
Il ne faut qu’attrapper le bus. Parce que le bus, au Vietnam, il passe quand il veut bien. Contrairement à la stm qui donne des heures déterminées et qui ne les respecte pas, ici, c’est tout à fait assumé. Et si les arrêts sont bien fixes, ça ne veut pas nécessairement dire que le bus doit arrêter. Voici le truc : quand il arrive de loin, il faut courir en suivant sa trajectoire, pour qu’il nous remarque. Sinon, tant pis. À partir du moment où on est assez chanceux pour que s’ouvre la porte arrière, on pousse du coude pour entrer et on prie pour trouver un peu d’espace. Et on s’arrange, surtout, pour n’avoir rien dans les poches.
Nous transférons d’un autobus à l’autre, c’est très long, mais le trajet aura coûté environ trente cennes. On marche en rond une quinzaine de minutes. Je meurs de faim. Sur le chemin, une femme vend de petits pâtés de riz collant farcis aux haricots, puis frits. Nous en partageons quelques uns avant de passer par une ruelle sombre qui mène à…
…un magnifique café européen, à la belle étoile. Il est juste à l’entrée de notre cinéma.
Ça parle italien, haut et fort. Francesca est ravie, entame la conversation avec tout le monde. Un serveur passe près de nous et nous offre de délicieuses bouchées aux tomates et à l’ail.
Je me dis que nous aurons le temps de manger avant le film, eh non. Le temps file, à Hanoi. Kitty me dit : « ici, évalue le temps qu’il te faudra pour te rendre quelque part, et multiplie-le par deux. »
À peine le temps de commander un verre de vin que nous nous entassons dans une petite salle, interrompant le discours d’ouverture, partagé par deux dames: l’une s’exprime en Vietnamien, l’autre, en Italien. J’écoute, séduite, la beauté du clash de sonorités, en contre-temps linguistique.
Le film est tout à fait charmant, un seul problème : au bout d’une heure ou deux, je suis frappée par une lourde fatigue, et une déshydratation manifeste. Je gigotte dans tous les sens, je suffoque, mon corps n’apprécie pas le vin, je veux me coucher.
Une chose me frappe, soudainement : à partir de maintenant, je dois être plus sensible à mon instinct que je ne l’ai jamais été. Je ne peux plus me permettre de mettre mon corps à l’épreuve, d’aucune façon. Et si mon corps n’est pas en forme, ma tête suit. La concentration baisse en chute libre, le moral est plus fragile. Ça se manifeste à la sortie de la salle, quand je vais me chercher une bouteille d’eau; le décors est magnifique, d’un romantisme extraordinaire, il y a des fleurs et des vignes, des lumières de Noël même, les jolies tables sont en fonte artisanale, et à travers tout ça, j’aperçois une coquerelle plus grosse qu’un biscuit Oréo.
« Merde, je ne suis pas habituée à ça. »
Kitty : « Tu vas t’y faire. Faut seulement faire attention, au Vietnam, elles mordent. L’un des particippant du centre a dû se gaver d’antibiotiques après s’être fait piquer dans le cou. »
Je pâlis légèrement.
« Tu es dans un pays tropical, ça fait partie du reste! Des lézards, des serpents, des bibittes… Écoute, cette semaine j’ai vu un rat gros comme un chat, au centre. Je suis encore en vie. »
J’ai une grosse montée de doutes. Pourquoi je suis venue ici. Je vais rester six mois. Ça va être encore pire en Inde. Je ne me sens pas bien.
…puis, une montée de raison : tu es très fatiguée, et tu as besoin de t’adapter. Les quelques instants où tu risques de voir des coquerelles, et même si elles te touchent (oh my god oh my god oh my god, dégueulasse), ne vont tout de même pas concurrencer toutes les belles choses que tu as vues et que tu vas voir dans les semaines, les mois à venir. Come on.
Soudainement, à cet instant précis, c’est parfaitement de circonstance, je vois un rat, un groooooos rat. Pas gros comme un chat mais gros quand même.
Pourquoi, ça ne me fait pas un pli. Ça ne me lève pas le cœur. Ça ne me fait pas peur. C’est un rat. Et après. « Bon, je suis bien partie. »
Bien partie, mais brûlée. Je ne peux suivre le groupe dans ses virées nocturnes. Je veux prendre un taxi.
Un taxi safe. Je fais appel aux services de Francesca pour qu’elle appelle une compagnie fiable.
Quand je vois le taxi devant la petite ruelle qui mène au cinéma, j’ai un doute. Kitty a un doute. Nous communiquons notre doute par un regard douteux. C’est le nom de la compagnie qui nous rassure, un peu. Dans les circonstances, j’embarque.
Après vingt minutes de route, bien loins du centre-ville, nous arrivons à une intersection, passons par le même genre de villages poussiéreux que j’avais visité pour aller au Friendship Village. Seulement, ce ne sont pas les mêmes, et ils ne sont éclairés que grâce aux phars de la voiture. Il n’y a pas un chat dans les environs.
Mon chauffeur est perdu.
Et il ne parle pas anglais.
Je précise : je ne parle pas Vietnamien non plus.
Je peux compter sur les doigts d’une main le nombre de fois où j’ai eu aussi peur dans ma vie. Je réalise soudainement c’est quoi, être vulnérable, aussi limitée dans ses ressources. Pas la langue. Pas l’orientation. Pas de cellulaire, ni le numéro de quelqu’un à rejoindre dans ma mémoire – parent, ami, police, numéro d’une compagnie de taxi. Tous ces outils, si élémentaires pour moi à Montréal, disparaissent tous d’un coup. Par chance, j’ai la carte d’affaire, l’adresse exacte de l’établissement. Ce petit bout de papier dans ma poche, plus une somme d’argent très raisonnable, s’avèrent mon seul recours pour rentrer chez moi. Le chauffeur réveille le responsable de Volunteers for peace, Cuong (c’est une chance qu’il réponde, à 23 heures), pour qu’il le guide dans la campagne noire. Une fois rendus sur place, Monsieur-je-parle-pas-anglais-et-je-connais-pas-mon-chemin me charge un extra pour avoir utilisé les onéreux services de son CELLULAIRE. J’étais trop à bout de moi-même pour l’envoyer chier.
Je me suis rendue compte que je devais respecter mes limites, et j’ai ciblé, en moins de deux jours, plusieurs cadres où elles se situaient. Ce n’est pas le moment d’avoir honte d’ignorer, on ne parle même plus d’ignorer des faits mais même des manières d’apprendre en soi. Je constate mieux que jamais à quel point chaque voyageur a des yeux différents, et que ce qu’il perçoit, la manière dont il vit son adaptation lui renvoie un certain reflet de lui-même. Il y a trop de choses à voir pour qu’il n’y ait pas, consciemment ou non, un certain choix à faire, ou encore, que certains éléments nous choisissent eux-même.
Je choisis de voir le sourire des enfants, l’accueil si chaleureux des gens de l’organisme, les autobus bondés, les insectes, les arbres, les cinémas de répertoires, les taxis qui ne sont pas fiables. Je décide de sentir l’odeur de fumée, de smog, de végétation.
Pour le moment, ça, c’est mon Vietnam.
Et, aucun doute là-dessus, ça va évoluer à un point que j’ignore encore.
vendredi 26 octobre 2007
zones de turbulence
Nuit blanche, genre, blanc fluo.
Je suis en train de gosser après les cadenas sur mes zippers, ça sonne, il est cinq heures dix (du matin) et j’avais tout naïvement l’impression qu’il me restait une petite demie-heure pour dormir. C’est beau l’espoir.
Je suis un zombie dans la voiture. Je ne veux plus réfléchir le temps de me rendre à Pierre-Elliott Trudeau, j’essaie de me vider les méninges. Surtout pas penser que j’aurais pu oublier quelque chose, que je vais oublier quelque chose, ou m’endormir sur mon siège du quai d’embarquement et me faire dépouiller pendant mon sommeil par un vendeur de drogue qui va remplacer mes cartes de crédit par des gros sacs de cocaïne et je vais passer le reste de ma vie en prison à manger du pain rassis et à apprendre des chansons grivoises. Nous sommes bien avant l’aube, dehors c’est noir et je suis de mauvaise humeur, c’est bien plus physique que circonstanciel. J’étais déjà épuisée avant de booster au Guru cette dernière nuit à faire du jogging intellectuel dans l’appart - la plus longue et la plus stressante nuit de ma vie.
À l’aéroport, les aurevoirs sont étrangement similaires à ceux d’une fin de soirée. C’est on-ne-peut-plus tant mieux, dans les circonstances. Je suis peu famillière avec les procédures aéroportuaires et j’ai envie qu’on me laisse me démerder avec mon ignorance, au moins ça, sti. C’est niaiseux, ce jour n’est pas seulement le jour que j’attends depuis des mois mais que j’ai attendu toute ma vie, et j’ai l’impression d’avoir passé la nuit à étudier pour un examen de math.
Pendant que je traîne mon p’tit chariot dans la contrée des doines américaines, je fais des sourires niaiseux, je cogne les chevilles du Monsieur qui attend en file avant moi, je m’excuse en bégayant un peu, je sais pus ou ranger mes affaires, y’a des cadenas partout (qui n’ont pas tous la même clé). J’arrive pas à trouver le bon rythme entre : avancer le chariot dans la file, gosser après le cadenas, avancer le chariot, gosser après mes cartes d’embarquement.
Je suis restée deux ans au Passeport même si au début, je servais le vin dans des ballons à cognac (merci de me le rappeler, Mimi :P). Et je me dis : si je suis restée deux ans au Passeport, j’ai quand même des chances de m’en tirer aujourd’hui. Soyons positif.
Soudainement, je ne comprends plus l’anglais. Le stress me fait oublier l’anglais. Et merde. Eh shit, ça je me rappelle au moins, mais les doiniers américains sont bêtes, on dira pas ça devant eux. « Take your shoes off, please ». Je lui shoot quelque chose du genre : « pauvre toi qui doit supporter de sentir les pieds qui puent de tout le monde dans une journée » mais c’était à moitié retenu, disons que y’a une voix dans ma tête qui disait : Geneviève, s’te plait, ta gueule.
Mon embarquement est sensé être à sept heures cinquante-cinq. À sept heures cinquante sept – j’avais pas bougé, et c’était le cas de toute la masse de gens autour de moi -, ça y est, j’ai manqué mon vol. Monsieur, est-ce que je suis en retard.
Monsieur dit : inspire, expire, repose ta question sans pleurer (je pleurais PAS).
Je suis un peu nerveuse. Je veux juste m’assurer que j’ai pas raté ce vol qui avait en faite trois minutes de retard.
Noooooon. Y’a pas problème.
J’embarque dans l’avion, je cherche mon siège, je me fous dans les pattes de tout le monde.
Je m’asseois.
Je me dis ça y est, l’avion va décoller et je vais croupir sous la honte d’asperger tout le monde de vômi.
J’attends que l’avion bouge.
Au bout de quinze minutes environ, il avance lentement. Au bout de seize minutes, je me dis : ça y est, il va décoller. Dix-sept minutes : ça y est, là, maintenant, il va décoller. Dix-huit minutes : précisément à ce moment précis, l’avion va décoller.
…Finalement, l’avion fait comme quarante tours de piste, on sait jamais quand ça va finir, je m’endors. Solide.
Quand j’ouvre les yeux, c’est parce qu’on est en train de prendre de la vitesse.
Et plus on prend de la vitesse, plus le moteur me raisonne dans les oreilles, plus je me sens caler dans mon siège, plus je suis envahie par une joie intense.
Dans les derniers jours, j’avais des grosses crises d’angoisses, je me sentais dans un demi-lieu, pas tout à fait à Montréal, pas tout à fait au Vietnam. Je n’avais pas complètement conscience de ce qui se passait, des procédures, des aurevoirs, j’étais trop fébrile. À 36 000 pieds dans les airs, je suis devenue plus groundée que je ne l’avais été depuis des semaines, et ce, en quelques secondes à peine. Il s’est mis à y avoir des zones de turbulences assez hot.
…et ça m’a fait penser au film, là…
…Capitaine Crochet.
…Pour faire un petit résumé fortuit : Peter Pan (Robin Williams) a quarante-quelque années, deux enfants, une peur maladive des hauteurs, et tout oublié son histoire de compte de fée. C’est devenu un bourreau de travail qui ne gère pas ses priorités. Le film commence alors qu’il traîne toute sa petite famille dans un party de Noël à Londres, évidemment, où les attend une Wendy ratatinée qui, elle, se souvient de tout tout tout. Ils prennent l’avion pour se rendre en sol européen, et là, c’est le bordel. Il y a de sales zones de turbulence, et ça shake. Les cafés se renversent partout, la vaisselle se cogne, et Peter Pan freake out parce qu’il a oublié, chose si simple, qu’en pensant à quelque chose d’heureux, il pouvait résister à ces lois de la gravité discriminatoires. Évidemment, quand ses enfants se font enlever par le Capitaine Crochet, papa Pan va devoir retrouver ses instincts de garçon perdu pour courir à leur secours.
Dans les dernières années, toutes les fois que j’ai pris l’avion, j’ai stressé, solide. Minute que ça brassait un peu, je voyais défiler le fil de ma courte existence. Aujourd’hui, on aurait dit que le ciel était une machine à laver. Et j’avais envie de crier des gros : yoooooohooooo!, comme si je n’avais – jamais – eu peur de quoique ce soit, et que j’avais retrouvé un grand, grand complice : le ciel.
… de manière si inattendue, aujourd’hui, c’est la petite fille de quatre ans qui a pris la parole. Celle qui faisait un paquet d’allers-retours toute seule entre Montréal et Chibougamau, et celle aussi qui était allée espionner ses parents tard le soir... pendant qu’ils regardaient Capitaine Crochet.
Faut croire que la mémoire du vol a fini par me rattrapper, à moi aussi.
Je suis présentement à l’aéroport de San Francisco, dans l’attente d’un transfert pour Singapour. Je l’ai déjà dit, je le répète : je passe ces jours-ci par une vaste gamme d’émotions que je n’avais jamais vécues – que je ne pouvais non plus imaginer. C’est une question de personnalité, de vision, j’imagine. Je suis convaincue qu’un autre Québécois débarquerais ici dans l’attente d’un transfert au Vietnam et dirait : voyons, c’est plein de blancs, c’est pareil comme chez nous sauf que c’est tout en anglais. C’est vrai, c’est pareil comme chez nous et c’est tout en anglais, mais ce petit bout de terre que je frôle ici, quelques heures à peine, il a toute une structure législative, une histoire, une politique qui ne se réflète nullement dans ce lieu exempt du lieu en soi. Cet aéroport est un demi-lieu. Tout le monde est là à défaut de ne pouvoir directement se téléporter à quelque part d’autre.
Grande réalisation, j’en ai toujours, j’en ai peut-être trop, mais grâce à ça on ne me reprochera pas de prendre TROP DE DROGUE : jamais je n’ai été complètement seule, à une distance – physique – aussi importante de chez moi. Bon, on n’est pas rendus au choc culturel, mais c’est déjà un début. À un moment donné tantôt, j’étais dans l’avion, et je me répétais : je suis dans l’avion je suis dans l’avion je suis dans l’avions je suis dans l’avion et à chaque fois que je me le répétais, fuck, je prenais conscience que j’ÉTAIS DANS L’AVION.
Oui, ça sonne mongole un peu écrit comme ça.
Mettons-nous en contexte.
À Chibougamau, quand j’ai grandi, il y avait :
- de la neige au sol 14 mois par année. L’été était presque un mythe.
- des amérindiens, casés dans des écoles anglaises alors on ne jouait pas avec eux.
- pas de noirs. Pas de chinois. Les yeux bridés s’avéraient un magnifique mystère, fallait pas en parler, pour des raisons d’éthique. Je savais pas exactement quelles raisons, je me disais qu’il fallait offenser personne en leur disant qu’ils avaient les yeux bridés (comme s’ils ne le savaient pas déjà).
C’est peut-être pour ça justement que j’avais le kick sur le punk aux yeux en amande dans Capitaine Crochet, Ruffio, l’inaccessible. À bien y penser, avec un nom comme Dante Basco, l’acteur devait être sud-américain, j’ai réalisé ça dans l’avion. Et merde, ça fonctionne même pas.
Revenons-en aux chinois inexistants.
Première journée d’école à Montréal, à douze ans, la première bridée à qui je parle à l’heure du lunch – peut-être même la première bridée à qui je parle de ma vie - me demande c’est quoi ce dessert, avec une sorte de pâte brisée, pis une garniture blonde dedans. C’était une Chinoise Chinoise avec un nom imprononçable. Je tombe sur les fesses. Ben là… c’est de la tarte aux pommes. Pour moi l’histoire, la culture d’une personne qui ne saurait même pas c’est quoi de la tarte aux pommes, c’est aussi impressionnant que l’idée de se faire embrasser par Johnny Depp.
Mais me savoir pertinemment en train de VOLER (chose qui aurait semblé absolument impossible il y a quelques siècles) vers un de ces pays-là où y mangent PAS ÇA, de la tarte aux pommes, c’est un grand pas pour la femme en moi, ça.
Singapore Airlines.
J’ai trois sièges à moi toute seule pour m’évacher comme je veux avec les trois couvertes et les trois oreillers… pendant douze heures de vol. Et c’est pas fini : après, une autre escalle, un autre quelques heures de vol, encore une escalle de neuf heures, puis un vol de quatre heures qui va FINALEMENT m’amener à Hanoi. Les heures changent de place et je m’en fous, ça fait une semaine que je dors pas, dormir en plein milieu d’après-midi ou en pleine nuit… sincèrement, ça fait déjà pas changement de mes habitudes de sommeil.
Y’a plein de films que je peux regarder sur mon écran miniature à moi toute seule. Les Simpson, entre autres.
Dans l’avion, ça ne m’intéresse TELLEMENT pas. Chaque seconde à regarder les rangées, l’aile de l’avion par le hublo de la fenêtre, les hôtesses de l’air asiatiques, est comme la première. Même sans les Simpson, je ne me suis pas emmerdée une fraction de seconde, habitée d’un émerveillement coooontinu.
Voilà, j’écris ces lignes dans l’attente de reprendre l’avion, à Incheon/Seoul (Corée). Escalle inattendue avant Singapour - les transferts sont nombreux, mais ça ne me stresse plus.
C’est tellement PEACE. L’aéroport est vide, tout le monde est zen, il n’est que sept heures du soir ici (mon laptop indique six du matin, heure de Montréal) et le noir du ciel est incroyablement profond.
Je dois partager une chose qui m’enthousiasme à un point surprenant : j’avais –j’ai- tellement hâte de SENTIR l’Asie. Les odeurs, la chaleurs, l’air… On m’a dit à quelques reprises que ça sentait chaud. Même, certains ont trouvé que ça donnait mal au cœur.
Quand je suis débarquée de l’avion en sol asiatique, pour la première fois de ma vie, j’ai pris de grandes bouffées, au cas-où un peu de cet air précieux pouvait se faufiler à travers la passerelle et l’immense façade vitrée de l’aéroport. J’ai eu un petit fume, très, très subtil. Juste assez pour comprendre spécifiquement ce que j’ignorais quand je zigzagais avec mon chariot et mes cadenas aux doines américaines.
Maïté, ton frère m’a dit, au Mad Tea Party : tu es tellement nerveuse déjà que je pense qu’il te restera plus rien de stress une fois rendue sur place.
Ben merde.
J’pense qu’il a raison.
Je TRIPPE.
Je suis même pas rendue pis je TRIPPE. Je pense que c’est cette partie-là que j’avais oubliée.
Je suis encore en forme après un gros vingt heures à regarder partout et à en revenir un peu plus.
Chloé, à qui je dois ma moitié de bol symbolique, est venue me rendre une petite visite en fin de soirée, lundi, pendant que je faisais mes valises. Nous nous sommes alors mis d’accord sur un point : le paradoxe, l’anti-thèse, la contradiction est l’essence du monde, de l’art, du bonheur, même. Nous avons décidé de nous battre contre la cohérence, puisque l’absurde est absolument inévitable, et défier l’inévitable, c’est perdre (dans le contexte présent, cette affirmation peut tout de même être réfutée). Soyons sereins avec le fait qu’une chose et son contraire puissent être vrais et nous faisons un grand pas vers la sérénité, un encore plus grand pas vers la compréhension de l’homme, je crois.
Chloé, je suis à Singapour. Il est deux heures vingt-sept du matin, il est également deux heures vingt-sept à Montréal, mais dans l’autre sens (jeudi, le 25 octobre 2007 – Montréal s’éternise encore au Jour du Passeport, un premier sans moi ). L’embarquement pour Hanoi est à dix heures du matin, je devrais être en train de m’emmerder comme le maudit, mais je ne cherche même pas tant à tuer le temps. Je suis en contemplation méditative depuis (attends, je compte…) 31 heures.
Voici mes paradoxes :
- Je pourrais écrire pendant des heures et les mots me manquent.
- Je suis à l’autre bout du monde et je me sens chez moi.
- Je me sens à la fois incroyablement, magnifiquement seule, et comme faisant partie intégrante de la fourmillière de la planète.
- J’ai l’impression que tout va changer, pour toujours, mais que, à la fois, que tout ce que je vis en on-ne-peut-plus-naturel.
- Je suis très énervée… et très, très, très zen.
- Je suis à la fois épuisée et en pleine forme.
Une chose est encrée dans le sol, à 36 000 pieds dans les airs : la confiance.
Je suis en train de gosser après les cadenas sur mes zippers, ça sonne, il est cinq heures dix (du matin) et j’avais tout naïvement l’impression qu’il me restait une petite demie-heure pour dormir. C’est beau l’espoir.
Je suis un zombie dans la voiture. Je ne veux plus réfléchir le temps de me rendre à Pierre-Elliott Trudeau, j’essaie de me vider les méninges. Surtout pas penser que j’aurais pu oublier quelque chose, que je vais oublier quelque chose, ou m’endormir sur mon siège du quai d’embarquement et me faire dépouiller pendant mon sommeil par un vendeur de drogue qui va remplacer mes cartes de crédit par des gros sacs de cocaïne et je vais passer le reste de ma vie en prison à manger du pain rassis et à apprendre des chansons grivoises. Nous sommes bien avant l’aube, dehors c’est noir et je suis de mauvaise humeur, c’est bien plus physique que circonstanciel. J’étais déjà épuisée avant de booster au Guru cette dernière nuit à faire du jogging intellectuel dans l’appart - la plus longue et la plus stressante nuit de ma vie.
À l’aéroport, les aurevoirs sont étrangement similaires à ceux d’une fin de soirée. C’est on-ne-peut-plus tant mieux, dans les circonstances. Je suis peu famillière avec les procédures aéroportuaires et j’ai envie qu’on me laisse me démerder avec mon ignorance, au moins ça, sti. C’est niaiseux, ce jour n’est pas seulement le jour que j’attends depuis des mois mais que j’ai attendu toute ma vie, et j’ai l’impression d’avoir passé la nuit à étudier pour un examen de math.
Pendant que je traîne mon p’tit chariot dans la contrée des doines américaines, je fais des sourires niaiseux, je cogne les chevilles du Monsieur qui attend en file avant moi, je m’excuse en bégayant un peu, je sais pus ou ranger mes affaires, y’a des cadenas partout (qui n’ont pas tous la même clé). J’arrive pas à trouver le bon rythme entre : avancer le chariot dans la file, gosser après le cadenas, avancer le chariot, gosser après mes cartes d’embarquement.
Je suis restée deux ans au Passeport même si au début, je servais le vin dans des ballons à cognac (merci de me le rappeler, Mimi :P). Et je me dis : si je suis restée deux ans au Passeport, j’ai quand même des chances de m’en tirer aujourd’hui. Soyons positif.
Soudainement, je ne comprends plus l’anglais. Le stress me fait oublier l’anglais. Et merde. Eh shit, ça je me rappelle au moins, mais les doiniers américains sont bêtes, on dira pas ça devant eux. « Take your shoes off, please ». Je lui shoot quelque chose du genre : « pauvre toi qui doit supporter de sentir les pieds qui puent de tout le monde dans une journée » mais c’était à moitié retenu, disons que y’a une voix dans ma tête qui disait : Geneviève, s’te plait, ta gueule.
Mon embarquement est sensé être à sept heures cinquante-cinq. À sept heures cinquante sept – j’avais pas bougé, et c’était le cas de toute la masse de gens autour de moi -, ça y est, j’ai manqué mon vol. Monsieur, est-ce que je suis en retard.
Monsieur dit : inspire, expire, repose ta question sans pleurer (je pleurais PAS).
Je suis un peu nerveuse. Je veux juste m’assurer que j’ai pas raté ce vol qui avait en faite trois minutes de retard.
Noooooon. Y’a pas problème.
J’embarque dans l’avion, je cherche mon siège, je me fous dans les pattes de tout le monde.
Je m’asseois.
Je me dis ça y est, l’avion va décoller et je vais croupir sous la honte d’asperger tout le monde de vômi.
J’attends que l’avion bouge.
Au bout de quinze minutes environ, il avance lentement. Au bout de seize minutes, je me dis : ça y est, il va décoller. Dix-sept minutes : ça y est, là, maintenant, il va décoller. Dix-huit minutes : précisément à ce moment précis, l’avion va décoller.
…Finalement, l’avion fait comme quarante tours de piste, on sait jamais quand ça va finir, je m’endors. Solide.
Quand j’ouvre les yeux, c’est parce qu’on est en train de prendre de la vitesse.
Et plus on prend de la vitesse, plus le moteur me raisonne dans les oreilles, plus je me sens caler dans mon siège, plus je suis envahie par une joie intense.
Dans les derniers jours, j’avais des grosses crises d’angoisses, je me sentais dans un demi-lieu, pas tout à fait à Montréal, pas tout à fait au Vietnam. Je n’avais pas complètement conscience de ce qui se passait, des procédures, des aurevoirs, j’étais trop fébrile. À 36 000 pieds dans les airs, je suis devenue plus groundée que je ne l’avais été depuis des semaines, et ce, en quelques secondes à peine. Il s’est mis à y avoir des zones de turbulences assez hot.
…et ça m’a fait penser au film, là…
…Capitaine Crochet.
…Pour faire un petit résumé fortuit : Peter Pan (Robin Williams) a quarante-quelque années, deux enfants, une peur maladive des hauteurs, et tout oublié son histoire de compte de fée. C’est devenu un bourreau de travail qui ne gère pas ses priorités. Le film commence alors qu’il traîne toute sa petite famille dans un party de Noël à Londres, évidemment, où les attend une Wendy ratatinée qui, elle, se souvient de tout tout tout. Ils prennent l’avion pour se rendre en sol européen, et là, c’est le bordel. Il y a de sales zones de turbulence, et ça shake. Les cafés se renversent partout, la vaisselle se cogne, et Peter Pan freake out parce qu’il a oublié, chose si simple, qu’en pensant à quelque chose d’heureux, il pouvait résister à ces lois de la gravité discriminatoires. Évidemment, quand ses enfants se font enlever par le Capitaine Crochet, papa Pan va devoir retrouver ses instincts de garçon perdu pour courir à leur secours.
Dans les dernières années, toutes les fois que j’ai pris l’avion, j’ai stressé, solide. Minute que ça brassait un peu, je voyais défiler le fil de ma courte existence. Aujourd’hui, on aurait dit que le ciel était une machine à laver. Et j’avais envie de crier des gros : yoooooohooooo!, comme si je n’avais – jamais – eu peur de quoique ce soit, et que j’avais retrouvé un grand, grand complice : le ciel.
… de manière si inattendue, aujourd’hui, c’est la petite fille de quatre ans qui a pris la parole. Celle qui faisait un paquet d’allers-retours toute seule entre Montréal et Chibougamau, et celle aussi qui était allée espionner ses parents tard le soir... pendant qu’ils regardaient Capitaine Crochet.
Faut croire que la mémoire du vol a fini par me rattrapper, à moi aussi.
Je suis présentement à l’aéroport de San Francisco, dans l’attente d’un transfert pour Singapour. Je l’ai déjà dit, je le répète : je passe ces jours-ci par une vaste gamme d’émotions que je n’avais jamais vécues – que je ne pouvais non plus imaginer. C’est une question de personnalité, de vision, j’imagine. Je suis convaincue qu’un autre Québécois débarquerais ici dans l’attente d’un transfert au Vietnam et dirait : voyons, c’est plein de blancs, c’est pareil comme chez nous sauf que c’est tout en anglais. C’est vrai, c’est pareil comme chez nous et c’est tout en anglais, mais ce petit bout de terre que je frôle ici, quelques heures à peine, il a toute une structure législative, une histoire, une politique qui ne se réflète nullement dans ce lieu exempt du lieu en soi. Cet aéroport est un demi-lieu. Tout le monde est là à défaut de ne pouvoir directement se téléporter à quelque part d’autre.
Grande réalisation, j’en ai toujours, j’en ai peut-être trop, mais grâce à ça on ne me reprochera pas de prendre TROP DE DROGUE : jamais je n’ai été complètement seule, à une distance – physique – aussi importante de chez moi. Bon, on n’est pas rendus au choc culturel, mais c’est déjà un début. À un moment donné tantôt, j’étais dans l’avion, et je me répétais : je suis dans l’avion je suis dans l’avion je suis dans l’avions je suis dans l’avion et à chaque fois que je me le répétais, fuck, je prenais conscience que j’ÉTAIS DANS L’AVION.
Oui, ça sonne mongole un peu écrit comme ça.
Mettons-nous en contexte.
À Chibougamau, quand j’ai grandi, il y avait :
- de la neige au sol 14 mois par année. L’été était presque un mythe.
- des amérindiens, casés dans des écoles anglaises alors on ne jouait pas avec eux.
- pas de noirs. Pas de chinois. Les yeux bridés s’avéraient un magnifique mystère, fallait pas en parler, pour des raisons d’éthique. Je savais pas exactement quelles raisons, je me disais qu’il fallait offenser personne en leur disant qu’ils avaient les yeux bridés (comme s’ils ne le savaient pas déjà).
C’est peut-être pour ça justement que j’avais le kick sur le punk aux yeux en amande dans Capitaine Crochet, Ruffio, l’inaccessible. À bien y penser, avec un nom comme Dante Basco, l’acteur devait être sud-américain, j’ai réalisé ça dans l’avion. Et merde, ça fonctionne même pas.
Revenons-en aux chinois inexistants.
Première journée d’école à Montréal, à douze ans, la première bridée à qui je parle à l’heure du lunch – peut-être même la première bridée à qui je parle de ma vie - me demande c’est quoi ce dessert, avec une sorte de pâte brisée, pis une garniture blonde dedans. C’était une Chinoise Chinoise avec un nom imprononçable. Je tombe sur les fesses. Ben là… c’est de la tarte aux pommes. Pour moi l’histoire, la culture d’une personne qui ne saurait même pas c’est quoi de la tarte aux pommes, c’est aussi impressionnant que l’idée de se faire embrasser par Johnny Depp.
Mais me savoir pertinemment en train de VOLER (chose qui aurait semblé absolument impossible il y a quelques siècles) vers un de ces pays-là où y mangent PAS ÇA, de la tarte aux pommes, c’est un grand pas pour la femme en moi, ça.
Singapore Airlines.
J’ai trois sièges à moi toute seule pour m’évacher comme je veux avec les trois couvertes et les trois oreillers… pendant douze heures de vol. Et c’est pas fini : après, une autre escalle, un autre quelques heures de vol, encore une escalle de neuf heures, puis un vol de quatre heures qui va FINALEMENT m’amener à Hanoi. Les heures changent de place et je m’en fous, ça fait une semaine que je dors pas, dormir en plein milieu d’après-midi ou en pleine nuit… sincèrement, ça fait déjà pas changement de mes habitudes de sommeil.
Y’a plein de films que je peux regarder sur mon écran miniature à moi toute seule. Les Simpson, entre autres.
Dans l’avion, ça ne m’intéresse TELLEMENT pas. Chaque seconde à regarder les rangées, l’aile de l’avion par le hublo de la fenêtre, les hôtesses de l’air asiatiques, est comme la première. Même sans les Simpson, je ne me suis pas emmerdée une fraction de seconde, habitée d’un émerveillement coooontinu.
Voilà, j’écris ces lignes dans l’attente de reprendre l’avion, à Incheon/Seoul (Corée). Escalle inattendue avant Singapour - les transferts sont nombreux, mais ça ne me stresse plus.
C’est tellement PEACE. L’aéroport est vide, tout le monde est zen, il n’est que sept heures du soir ici (mon laptop indique six du matin, heure de Montréal) et le noir du ciel est incroyablement profond.
Je dois partager une chose qui m’enthousiasme à un point surprenant : j’avais –j’ai- tellement hâte de SENTIR l’Asie. Les odeurs, la chaleurs, l’air… On m’a dit à quelques reprises que ça sentait chaud. Même, certains ont trouvé que ça donnait mal au cœur.
Quand je suis débarquée de l’avion en sol asiatique, pour la première fois de ma vie, j’ai pris de grandes bouffées, au cas-où un peu de cet air précieux pouvait se faufiler à travers la passerelle et l’immense façade vitrée de l’aéroport. J’ai eu un petit fume, très, très subtil. Juste assez pour comprendre spécifiquement ce que j’ignorais quand je zigzagais avec mon chariot et mes cadenas aux doines américaines.
Maïté, ton frère m’a dit, au Mad Tea Party : tu es tellement nerveuse déjà que je pense qu’il te restera plus rien de stress une fois rendue sur place.
Ben merde.
J’pense qu’il a raison.
Je TRIPPE.
Je suis même pas rendue pis je TRIPPE. Je pense que c’est cette partie-là que j’avais oubliée.
Je suis encore en forme après un gros vingt heures à regarder partout et à en revenir un peu plus.
Chloé, à qui je dois ma moitié de bol symbolique, est venue me rendre une petite visite en fin de soirée, lundi, pendant que je faisais mes valises. Nous nous sommes alors mis d’accord sur un point : le paradoxe, l’anti-thèse, la contradiction est l’essence du monde, de l’art, du bonheur, même. Nous avons décidé de nous battre contre la cohérence, puisque l’absurde est absolument inévitable, et défier l’inévitable, c’est perdre (dans le contexte présent, cette affirmation peut tout de même être réfutée). Soyons sereins avec le fait qu’une chose et son contraire puissent être vrais et nous faisons un grand pas vers la sérénité, un encore plus grand pas vers la compréhension de l’homme, je crois.
Chloé, je suis à Singapour. Il est deux heures vingt-sept du matin, il est également deux heures vingt-sept à Montréal, mais dans l’autre sens (jeudi, le 25 octobre 2007 – Montréal s’éternise encore au Jour du Passeport, un premier sans moi ). L’embarquement pour Hanoi est à dix heures du matin, je devrais être en train de m’emmerder comme le maudit, mais je ne cherche même pas tant à tuer le temps. Je suis en contemplation méditative depuis (attends, je compte…) 31 heures.
Voici mes paradoxes :
- Je pourrais écrire pendant des heures et les mots me manquent.
- Je suis à l’autre bout du monde et je me sens chez moi.
- Je me sens à la fois incroyablement, magnifiquement seule, et comme faisant partie intégrante de la fourmillière de la planète.
- J’ai l’impression que tout va changer, pour toujours, mais que, à la fois, que tout ce que je vis en on-ne-peut-plus-naturel.
- Je suis très énervée… et très, très, très zen.
- Je suis à la fois épuisée et en pleine forme.
Une chose est encrée dans le sol, à 36 000 pieds dans les airs : la confiance.
lundi 22 octobre 2007
Pas de vomi
Il est présentement deux heures et quart du matin. Dans précisément trois heures, le papa le plus dévoué de la terre va venir chercher sa fille pour l'amener à l'aéroport.
Je ne pensais pas que mon corps était capable de supporter un tel stress. Je ne pensais pas non plus pouvoir emporter autant d'amour en voyage.
Je pars avec une moitié de bol symbolique, une petite carte porte-bonheur et un livre que je n'ai jamais lu, en huit ans, et je pense que le moment est bien choisi. L'alchimiste... j'aurai bien assez d'heures de vol pour passer au travers, si je ne suis pas en train de baver sur mon voisin de rangée.
Haha. J'ai pas encore sorti les mozus de poubelles.
Je me sens...
...tellement en vie que j'en perds presque conscience, finalement.
GOSH.
J'ai même pas pleuré, pis même pas vômi.
On dirait que mon corps ne peut plus rien faire pour témoigner de l'intensité que je vis à la seconde où j'écris ces lignes.
Deux heures et dix-huit.
...Merde, aaaaargh.
Maudites poubelles.
***
Quatre heures quarante et une. C'est le moment où je range mon laptop dans mon petit sac (mission accomplie, je l'ai, mon p'tit sac pour traîner le caniche). Ça veut dire que...
...merde, c'est maintenant en tabarnouche.
Mon plexus solaire est en gros party de fin de session.
Je ne pensais pas que mon corps était capable de supporter un tel stress. Je ne pensais pas non plus pouvoir emporter autant d'amour en voyage.
Je pars avec une moitié de bol symbolique, une petite carte porte-bonheur et un livre que je n'ai jamais lu, en huit ans, et je pense que le moment est bien choisi. L'alchimiste... j'aurai bien assez d'heures de vol pour passer au travers, si je ne suis pas en train de baver sur mon voisin de rangée.
Haha. J'ai pas encore sorti les mozus de poubelles.
Je me sens...
...tellement en vie que j'en perds presque conscience, finalement.
GOSH.
J'ai même pas pleuré, pis même pas vômi.
On dirait que mon corps ne peut plus rien faire pour témoigner de l'intensité que je vis à la seconde où j'écris ces lignes.
Deux heures et dix-huit.
...Merde, aaaaargh.
Maudites poubelles.
***
Quatre heures quarante et une. C'est le moment où je range mon laptop dans mon petit sac (mission accomplie, je l'ai, mon p'tit sac pour traîner le caniche). Ça veut dire que...
...merde, c'est maintenant en tabarnouche.
Mon plexus solaire est en gros party de fin de session.
lundi 15 octobre 2007
As-tu hate? Euh... Pas vraiment, non.
Je quitte dans neuf jours.
Je ne peux que difficilement m’imaginer le moment où je vais me lever un matin, et que ça va être aujourd’hui. Ce matin-là il est bientôt. On me dit : as-tu hâte?
Non.
J’ai hâte à mon party de départ, comme on a hâte de recevoir son chèque de paye, de voir sa blonde, de déballer ses cadeaux, d’avoir une réponse.
Je n’ai pas hâte de partir.
Je ne sais pas c’est quoi le sentiment cousin à la hâte qui m’anime en ce moment, mais je suis obligée de le retenir un peu, il provoque chez moi de légères crises d’épilepsie.
Je sors fumer une Djarum pendant mon shift au Passeport, mercredi dernier. Un de mes clients réguliers apprend que je quitte pour six mois, et il me demande : « qu’est-ce que tu fuis, comme ça? »
Je tombe sur le cul.
Fuir? Voyons donc. Je fuis rien. J’adore ma job, mon appart, j’ai des amis extraordinaires et plein de projets écoeurants pour le retour. Personne ne veut ma peau, apparemment. Je suis super bien.
Pourquoi je pars, alors? Simplement parce que mon cœur et ma raison se sont mis d’accord là-dessus, ces deux-là font une sacrée dream team. Je sais que je me mets dans la merde en leur désobéissant. Pas qu’obéir soit nécessairement facile, mais au moins, c’est loin d’être plate.
Papa dit : fais de la visualisation, c’est écoeurant.
J’essaie, dad. Mais quand ça arrive, on dirait que mon cerveau se met à canter vers l’arrière à l’intérieur de mon crâne, mon plexus solaire se twiste, je me mets à shaker, mes bras s’agittent dans plein de sens en même temps, c’est laid, je fais des sons aigus, j’ai l’air super ortho.
… Si au moins je braillais.
Brailler, c’est concret, ça évacue le stress. Ça met un genre de finalité aux émotions fortes. Même pas.
J’ai pleuré une fois dans les derniers mois, c’est en écrivant ma lettre d’intention, celle qui impliquait de mettre des mots –dans la langue de Shakespeare- pour motiver mon départ au Vietnam, visant à convaincre non pas seulement le responsable de l’organisme d’accueil, mais surtout moi-même. Pour me consoler, en milieu de processus d’écriture, on me dit: « Ils veulent juste être sûr que t’es capable d’enligner trois mots un à côté de l’autre, mets-toi pas de pression inutile. » Comme quand on paye par carte de crédit sur Internet, dans le fond, il faut recopier un genre de mot tout croche pour prouver qu’on est en pleine possession de ses moyens. Ça me paraît logique.
Non.
Une lettre de deux pages. Ça a dû me prendre deux ou trois semaines –facile- l’écrire, avec l’aide de mon amie la procrastination. Elle est collante, ces temps-ci, d’ailleurs. Le problème à ce moment-là, c’est que plus je me botte le cul, plus j’en arrache, même si c’est généralement le contraire qui se produit.
Je tourne mes phrases de bord, je tiens mon dictionnaire des synonymes avec mes dents. Je rushe, je rushe, il fait trente degré dehors, quarante dans l’appartement, pause. J’écris ceci (pour moi-même):
« J’haïssais déjà les travaux de fins de sessions, je pensais pas qu’une lettre de deux pages pourrait être encore plus difficile à écrire. Un travail d’analyse implique un risque minime, celui d’avoir une mauvaise note. Au bout du compte, notre opinion sur la question, notre vision des choses, on s’en fout, c’est mort et enterré, demeure un chiffre. Ok, un chiffre qui peut mener à un diplôme.
Parlons-en du diplôme, siiiiii valorisé. Va te perdre à l’autre bout du monde pour tester à quoi il te sert, ton diplôme. Attrappe la malaria, va sentir les morts au barbecue, regarde travailler une famille élargie de l’aube au crépuscule. Va rencontrer cette personne sur deux qui vit avec moins de deux dollars par jour. Surprise, ton diplôme ne t’empêche en rien de te sentir petit en maudit dans tes culottes. C’est curieux, hein, à quel point plus de cinq milliard d’êtres humains SURVIVENT, à des années-lumières de mes travaux de session. Et ont des choses à m’apprendre qui, j’en suis intimement persuadée, feraient pâlir tous les profs que j’ai jamais eus de ma vie.
Je dois me présenter à ces années-lumières-là, en deux pages.
…J’écris quoi?
…Comment je peux décrire une inexplicable soif de liberté, de différence, d’apprentissage, la décoder dans un langage qui dépasse mille frontières culturelles?
…Haha, je me sens twit, complètement tounue. C’est tellement deep ce qu’on me demande d’écrire, y’a pas de mots pour ça. Je peux pas écrire un poème, merde. Donnez-moi une dissertation sur un vieux texte plein d’opium et de métaphores dépressives, là, ça va être beaucoup moins compliqué à analyser que cette toile d’araignée dans laquelle sont tous pognés mes souvenirs, mes rêves, mes aspirations, en interrelation, la moitié d’entre eux tous décomposés avec le temps. À partir de toute cette matière-là, je ne veux pas beurrer trop épais, je veux pas les emmerder les vietnamiens, avec mes histoires de bonnes notes, de jupes carrottées, de remises en question qui puent l’adolescence, de petits voyages dans le sud cutes, je sais pas si celui qui va lire ma lettre enverra jamais ses enfants à l’école, je veux pas mettre du savon à lessive sur les toasts que mes vietnamiens vont manger. »
Je me mets à pleurer, solide. Un sentiment d’impuissance que je n’avais jamais éprouvé. L’impression, plus forte que jamais, qu’aucun langage n’arriverait jamais à exprimer ma pensée. Que ce monde injuste m’avait gâtée pourrie, à un point qui ne m’avait jamais autant frappé que quand mes mots devaient être aussi bien pesés. Depuis, pas une larme.
Je suis passée à travers d’autres émotions. Par exemple, j’ai eu un sal vertige quand l’infirmière de ma clinique voyage s’est mise à jouer dans ses seringues en me parlant des moustiques qui donnent la dengue et des vers qui gigottent dans le ventre avec du poulet mal cuit.
Maintenant, je me sens comme… tsé, quand tu vois quelque chose de très gros qui va te tomber sur le pied, tu le vois presque au ralenti, ça tombe, mais ça fait pas mal tout de suite tout de suite. Pour une fraction de seconde, tu sens seulement l’élan de la douleur, comme une fusée qui décolle. Je me sens drette dans cette fraction de seconde-là. C’est la prise de conscience qui s’en vient. C’est le moment où je vais me dire : fuck, qu’est-ce que j’ai fait.
Je prépare ma civière en même temps que le reste. Grosso modo, ça ressemble à une trousse médicale en plusieurs déclinaisons, un ordinateur qui ne vire pas trop mongole, des photocopies en plusieurs compartiments, du linge à salir, de quoi lire pendant des –interminables- heures de vol. Du filage pour mon MAC, mon Nikon et mon Ipod.
…parlant de mon MAC, merde! Ça pogne pas chez les backpackers, les portables. Dans la version sac à dos d’environ soixante litres, le plus souvent, un petit sac est fait exprès pour se zipper sur le gros. C’est ce petit frère que je vais traîner pendant mes –interminables- heures sur Singapore Airline, c’est donc là que je vais mettre mes bobettes, ma caméra, mon kit médical et… mon laptop. Le plus important, quoi, en cas qu’ils perdent le reste quelque part dans le monde, en Russie ou au Pérou. Ben merde, faut que ça rentre, je veux pas d’un micro-sac de moumoune dans lequel se jouent du coude une pince à épiler pis un jus de légumes. Pour trouver quelque chose qui a de l’allure, faut magasiner en tabarnouche. Quand je demande à un commis un petit sac avec de la place pour un laptop de quinze pouces, on me regarde comme si je voulais une pochette hermétique pour mon caniche. On essaie de me convaincre de tout simplement pas partir avec. Aye, t’es-tu agent de voyage, toi? T’es qui, toi? Tu m’connais-tu, toi? Tu l’sais-tu c’que j’m’en vas faire en Asie, toi? Ta yeule.
J’veux pas amener mon laptop pour être trendy pis mettre des photos de mes nouveaux amis australiens sur Facebook, chéri. Oui c’est lourd, je vais probablement sacrer un peu à mi-chemin, mais je suis assez forte pour me passer d’un bon samaritain porteur de bagages. Je suis une grande fille qui va au gym. Mange de la shnoutte.
…Je veux écrire.
Je ne peux que difficilement m’imaginer le moment où je vais me lever un matin, et que ça va être aujourd’hui. Ce matin-là il est bientôt. On me dit : as-tu hâte?
Non.
J’ai hâte à mon party de départ, comme on a hâte de recevoir son chèque de paye, de voir sa blonde, de déballer ses cadeaux, d’avoir une réponse.
Je n’ai pas hâte de partir.
Je ne sais pas c’est quoi le sentiment cousin à la hâte qui m’anime en ce moment, mais je suis obligée de le retenir un peu, il provoque chez moi de légères crises d’épilepsie.
Je sors fumer une Djarum pendant mon shift au Passeport, mercredi dernier. Un de mes clients réguliers apprend que je quitte pour six mois, et il me demande : « qu’est-ce que tu fuis, comme ça? »
Je tombe sur le cul.
Fuir? Voyons donc. Je fuis rien. J’adore ma job, mon appart, j’ai des amis extraordinaires et plein de projets écoeurants pour le retour. Personne ne veut ma peau, apparemment. Je suis super bien.
Pourquoi je pars, alors? Simplement parce que mon cœur et ma raison se sont mis d’accord là-dessus, ces deux-là font une sacrée dream team. Je sais que je me mets dans la merde en leur désobéissant. Pas qu’obéir soit nécessairement facile, mais au moins, c’est loin d’être plate.
Papa dit : fais de la visualisation, c’est écoeurant.
J’essaie, dad. Mais quand ça arrive, on dirait que mon cerveau se met à canter vers l’arrière à l’intérieur de mon crâne, mon plexus solaire se twiste, je me mets à shaker, mes bras s’agittent dans plein de sens en même temps, c’est laid, je fais des sons aigus, j’ai l’air super ortho.
… Si au moins je braillais.
Brailler, c’est concret, ça évacue le stress. Ça met un genre de finalité aux émotions fortes. Même pas.
J’ai pleuré une fois dans les derniers mois, c’est en écrivant ma lettre d’intention, celle qui impliquait de mettre des mots –dans la langue de Shakespeare- pour motiver mon départ au Vietnam, visant à convaincre non pas seulement le responsable de l’organisme d’accueil, mais surtout moi-même. Pour me consoler, en milieu de processus d’écriture, on me dit: « Ils veulent juste être sûr que t’es capable d’enligner trois mots un à côté de l’autre, mets-toi pas de pression inutile. » Comme quand on paye par carte de crédit sur Internet, dans le fond, il faut recopier un genre de mot tout croche pour prouver qu’on est en pleine possession de ses moyens. Ça me paraît logique.
Non.
Une lettre de deux pages. Ça a dû me prendre deux ou trois semaines –facile- l’écrire, avec l’aide de mon amie la procrastination. Elle est collante, ces temps-ci, d’ailleurs. Le problème à ce moment-là, c’est que plus je me botte le cul, plus j’en arrache, même si c’est généralement le contraire qui se produit.
Je tourne mes phrases de bord, je tiens mon dictionnaire des synonymes avec mes dents. Je rushe, je rushe, il fait trente degré dehors, quarante dans l’appartement, pause. J’écris ceci (pour moi-même):
« J’haïssais déjà les travaux de fins de sessions, je pensais pas qu’une lettre de deux pages pourrait être encore plus difficile à écrire. Un travail d’analyse implique un risque minime, celui d’avoir une mauvaise note. Au bout du compte, notre opinion sur la question, notre vision des choses, on s’en fout, c’est mort et enterré, demeure un chiffre. Ok, un chiffre qui peut mener à un diplôme.
Parlons-en du diplôme, siiiiii valorisé. Va te perdre à l’autre bout du monde pour tester à quoi il te sert, ton diplôme. Attrappe la malaria, va sentir les morts au barbecue, regarde travailler une famille élargie de l’aube au crépuscule. Va rencontrer cette personne sur deux qui vit avec moins de deux dollars par jour. Surprise, ton diplôme ne t’empêche en rien de te sentir petit en maudit dans tes culottes. C’est curieux, hein, à quel point plus de cinq milliard d’êtres humains SURVIVENT, à des années-lumières de mes travaux de session. Et ont des choses à m’apprendre qui, j’en suis intimement persuadée, feraient pâlir tous les profs que j’ai jamais eus de ma vie.
Je dois me présenter à ces années-lumières-là, en deux pages.
…J’écris quoi?
…Comment je peux décrire une inexplicable soif de liberté, de différence, d’apprentissage, la décoder dans un langage qui dépasse mille frontières culturelles?
…Haha, je me sens twit, complètement tounue. C’est tellement deep ce qu’on me demande d’écrire, y’a pas de mots pour ça. Je peux pas écrire un poème, merde. Donnez-moi une dissertation sur un vieux texte plein d’opium et de métaphores dépressives, là, ça va être beaucoup moins compliqué à analyser que cette toile d’araignée dans laquelle sont tous pognés mes souvenirs, mes rêves, mes aspirations, en interrelation, la moitié d’entre eux tous décomposés avec le temps. À partir de toute cette matière-là, je ne veux pas beurrer trop épais, je veux pas les emmerder les vietnamiens, avec mes histoires de bonnes notes, de jupes carrottées, de remises en question qui puent l’adolescence, de petits voyages dans le sud cutes, je sais pas si celui qui va lire ma lettre enverra jamais ses enfants à l’école, je veux pas mettre du savon à lessive sur les toasts que mes vietnamiens vont manger. »
Je me mets à pleurer, solide. Un sentiment d’impuissance que je n’avais jamais éprouvé. L’impression, plus forte que jamais, qu’aucun langage n’arriverait jamais à exprimer ma pensée. Que ce monde injuste m’avait gâtée pourrie, à un point qui ne m’avait jamais autant frappé que quand mes mots devaient être aussi bien pesés. Depuis, pas une larme.
Je suis passée à travers d’autres émotions. Par exemple, j’ai eu un sal vertige quand l’infirmière de ma clinique voyage s’est mise à jouer dans ses seringues en me parlant des moustiques qui donnent la dengue et des vers qui gigottent dans le ventre avec du poulet mal cuit.
Maintenant, je me sens comme… tsé, quand tu vois quelque chose de très gros qui va te tomber sur le pied, tu le vois presque au ralenti, ça tombe, mais ça fait pas mal tout de suite tout de suite. Pour une fraction de seconde, tu sens seulement l’élan de la douleur, comme une fusée qui décolle. Je me sens drette dans cette fraction de seconde-là. C’est la prise de conscience qui s’en vient. C’est le moment où je vais me dire : fuck, qu’est-ce que j’ai fait.
Je prépare ma civière en même temps que le reste. Grosso modo, ça ressemble à une trousse médicale en plusieurs déclinaisons, un ordinateur qui ne vire pas trop mongole, des photocopies en plusieurs compartiments, du linge à salir, de quoi lire pendant des –interminables- heures de vol. Du filage pour mon MAC, mon Nikon et mon Ipod.
…parlant de mon MAC, merde! Ça pogne pas chez les backpackers, les portables. Dans la version sac à dos d’environ soixante litres, le plus souvent, un petit sac est fait exprès pour se zipper sur le gros. C’est ce petit frère que je vais traîner pendant mes –interminables- heures sur Singapore Airline, c’est donc là que je vais mettre mes bobettes, ma caméra, mon kit médical et… mon laptop. Le plus important, quoi, en cas qu’ils perdent le reste quelque part dans le monde, en Russie ou au Pérou. Ben merde, faut que ça rentre, je veux pas d’un micro-sac de moumoune dans lequel se jouent du coude une pince à épiler pis un jus de légumes. Pour trouver quelque chose qui a de l’allure, faut magasiner en tabarnouche. Quand je demande à un commis un petit sac avec de la place pour un laptop de quinze pouces, on me regarde comme si je voulais une pochette hermétique pour mon caniche. On essaie de me convaincre de tout simplement pas partir avec. Aye, t’es-tu agent de voyage, toi? T’es qui, toi? Tu m’connais-tu, toi? Tu l’sais-tu c’que j’m’en vas faire en Asie, toi? Ta yeule.
J’veux pas amener mon laptop pour être trendy pis mettre des photos de mes nouveaux amis australiens sur Facebook, chéri. Oui c’est lourd, je vais probablement sacrer un peu à mi-chemin, mais je suis assez forte pour me passer d’un bon samaritain porteur de bagages. Je suis une grande fille qui va au gym. Mange de la shnoutte.
…Je veux écrire.
vendredi 5 octobre 2007
l'engrenage
En 2007, faire un séjour de plusieurs mois à l’autre bout du monde s’avère certes une chance inouïe, une expérience exceptionnelle, mais elle n’est plus nécessairement originale. Les blogues non plus, d’ailleurs, ça tombe bien.
Je commence à envisager sérieusement de quitter le pays depuis trois mois. En trois mois, j’ai appris à quel point vous étiez nombreux à avoir laissé vos traces en Inde ou au Vietnam, vous ou vos cousines, vos meilleurs chums, vos pères, vos collègues de travail. Tous vos récits, recueillis devant le Passeport en fumant une cloppe, chez l’optométriste, en se croisant au Wok and Roll coin St-Denis et Rachel, ont créé un torrent puissant qui m’ont entraîné vers mon rêve, quand j’avais l’impression de nager toute seule, en p’tit chien mouillé. J’ai réussi à cueillir de nombreux indices grâce à toutes ces petites coïncidences qui se sont accumulées à la vitesse de l’éclair, avec une convergence presque mystique. Mettons naïvement mais joliment tout ça sur le dos de la synchronicité. La synchronicité, c’est un peu quand on fait un pas vers la réalisation de ses rêves, et que paf, les opportunités, les conseils, les indications nous tombent dessus, par hasard. Comme si nous déclenchions un engrenage par enchantement, ou mieux encore, comme si nous en faisions partie, de la manière la plus naturelle et fluide qui soit.
Je me suis achetée du thé chaï (concept) la semaine passée. Même chez Provigo, il y en avait, genre, dix-huit variétés bio, j’ai pris le forfait découverte. La boîte a traîné sur le comptoir de la cuisine pendant une journée ou deux (ça arrive, je suis parfois trop vedge pour ranger mes produits non-périssables dans l’armoire), et à un moment donné, l’illustration sur le dessus me frappe : c’est un Indien, avec turbant et drapeau, sur le dos d’un éléphant arbre-de-Noël-les-deux-yeux-dans-le-même-trou. Arrière-plan : le Taj Mahal, bien sûr, avec quelques mouettes. Je suis dans une zone un peu touchée parce que je sais pas exactement si c’est un dessin super iconographique d’un grand artiste du huitième siècle avant J.-C., ou une caricature immonde. En tout cas, ça me fait le même effet que si j’avais vu, sur une cannette de sirop d’érable, l’image d’un bûcheron en chemise carrottée qui serre la main à un Amérindien qui porte un poulailler sur la tête. Je me dis surtout qu’il y a cinquante ans, on devait peut-être s’imaginer l’Inde comme étant tout à fait fidèle à cette illustration. Comme certains Français (nous ne les nommerons pas) ont dû penser que nous vivions tous dans des tantes en écorces d’épinette et nous nourrissions de phoque cru.
Le point EST (finalement) : c’est merveilleux de vivre un tel rush d’ouverture entre les cultures. Si beaucoup de patterns horribles ont persisté à travers les siècles, cette ouverture sur le monde, au-delà du Made in China, est une première historique. Nous en faisons maintenant partie, que nous le voulions ou pas. Partir découvrir le monde à vingt ans deviendra un classique avant la prochaine génération (à bien y penser, c'est peut-être même déjà le cas).
J’ai décidé de raconter mon voyage quand même, parce que le monde reste GRAND, trop grand pour que nous le voyions tous de la même façon. Tout le monde pourrait vous raconter sa première journée à la maternelle, sa crise d’adolescence, sa première blonde, son premier deuil, les récits seraient tous différents, et probablement tous intéressants. Ce sont des situations où l’inconnu frappe en pleins genoux, rend complètement vulnérable, oblige une entière soumission. Soumission dans le sens de : on ne s'en tire indemne qu'en lâchant prise, un peu. C’est comme quand je faisais du ski (le vertige est venu avec l’âge) et mon père me disait : Geneviève, si tu prends de la vitesse et que tu as peur de te casser la marboulette, laisse-toi tomber dans un coin. C’est pas trop grave avoir les foufounes pleines de neige, ça va faire moins mal que si tu t’écrapoues en bas. Discutable dans plusieurs situations. Applicable dans le cas du voyage à venir : je vais affronter plein de choses, le ridicule, en particulier. On va rire de moi quand je vais essayer de me commander une soupe tonkinoise et que, à cause des mauvaises intonations, je vais baragouiner un paquet de niaiseries inimaginables sans m’en rendre compte. Ou encore commander quelque chose de... vraiment wierd. La solution à cela ne sera pas d'assomer les rieurs à grands coups de chaises, cela va de soi. Il va falloir que j'accepte d'être risible, comme on accepte d'être poche en ski.
Ça doit faire partie du fun.
…j’imagine.
Inscription à :
Articles (Atom)